Toulouse-Saint-Etienne : un exploit sans précédent

Ce samedi 28 février 2015, l’AS Saint-Etienne affronte le Toulouse Football Club. Après leur match nul contre Marseille (2-2) à domicile, les Verts de Christophe Galtier se déplacent en Haute-Garonne avec l’ambition d’y prendre les trois points. Le 22 décembre 1957, les coéquipiers de René Domingo se déplaçaient à Toulouse, le dernier vainqueur de la Coupe de France,  pour y rencontrer une équipe en proie à des doutes extra-sportifs. Récit.

ST ETIENNE 1957
L’AS Saint-Etienne : Debout (de g. à d.) : R. Tylinski, M. Tylinski, Abbes, Wicart, Domingo, Ferrier. Accroupis : (de g. à d.) : Goujon, Mekloufi, Njo-Léa, Oleksiak, Lefèvre.

Le 15 décembre 1957, Saint-Etienne décroche un bon match nul à Angers (2-2) et termine les matches allers invaincu. En Anjou, le jeune Robert Herbin inscrit son premier but avec l’AS Saint-Etienne. « C’était mon premier but, rappelle l’ancien pensionnaire du Cavigal de Nice. Je n’avais pas eu de réussite jusqu’ici. Maintenant, ça va aller. »

« Monte, monte »

Mais Jean Snella, l’entraîneur stéphanois, peut aussi remercier son défenseur Richard Tylinski. Alors que les Verts étaient menés 2 à 1 à deux minutes du coup de sifflet final, Tylinski surgit alors pour égaliser et prolonger ainsi l’invincibilité des siens dans ce Championnat de France. « Je suis content du jeu et du résultat. On me disait sur la fin : « Monte, monte ». Quelque chose m’a dit : « Vas-y ! » Alors j’y suis allé et j’ai réussi », explique le dernier buteur des Verts sitôt la rencontre terminée.

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A la 88e minute, Richard Tylinski, le défenseur stéphanois, inscrit le but égalisateur à Angers (2-2). Il permet à Saint-Etienne de prolonger sa série d’invincibilité.
L'Equipe, 16 décembre 1957.
L’Equipe, 16 décembre 1957.

4 victoires et 13 défaites

A mi-parcours, les Stéphanois comptent 21 points. Ils terminent les matches allers à la 5e place à cinq longueurs du leader rémois. S’ils n’ont pas connu la moindre défaite, ils n’ont gagné que 4 matches et partagé 13 fois les points. Orpheline de son stratège Kees Rijvers reparti dans sa Hollande natale, l’AS Saint-Etienne ne marque plus ou peu. A titre de comparaison, à la fin des matches allers de la saison 1956-57, elle avait inscrit 52 buts. Après le déplacement à Angers, le compteur buts en affiche seulement 28, soit 24 de moins.

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L’Equipe, 17 décembre 1957.

Le meilleur buteur du club s’appelle René Ferrier (5 buts). Eugène Njo-Léa, si prolifique lors de la saison du titre, n’a plus inscrit le moindre but depuis le 24 novembre et le match nul obtenu par les Verts à Sedan (1 à 1). Pour en finir avec les comparaisons, un an plus tôt, Mekloufi et Njo-Léa avaient déjà inscrit 18 buts chacun.

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L’Equipe, 18 décembre 1957.

Un seul joueur à l’entraînement

Après chaque rencontre dominicale, les joueurs stéphanois se reposent le lundi. Privé de Mekloufi, Richard et Michel Tylinski, Ferrier, Oleksiak et Peyoche, ses militaires partis disputer un match avec l’équipe de l’armée à Sarrebruck, Snella est embarrassé pour diriger sa séance d’entraînement. Et pour cause, seul François Wicart est présent ! Domingo et Herbin sont blessés alors que Njo-Léa est déjà reparti suivre des cours à la Faculté de Droit à Lyon.

Lefèvre en disgrâce

Bernard Lefèvre, arrivé à Saint-Etienne en 1956 en provenance de Lille, n’a plus les faveurs de son entraîneur. Ecarté par Snella depuis le 10 novembre et le match nul contre l’OM (1-1), il ne s’entraîne plus avec ses coéquipiers et son départ est évoqué du côté du stade Geoffroy-Guichard.

L'Equipe, 20 décembre 1957.
L’Equipe, 20 décembre 1957.

 Robert Philippe arrive en prêt

Claude Abbes, héros malheureux du match Angleterre-France (4-0) est absent depuis le 27 novembre. Blessé aux reins, il attend le feu vert du service médical du club pour reprendre le chemin de l’entraînement. Maryan Paszko, son remplaçant, assure parfaitement l’intérim, ce qui n’empêche pas les dirigeants stéphanois de rechercher un troisième gardien au cas où… C’est dans cette optique qu’ils se sont mis d’accord avec leurs homologues strasbourgeois pour accueillir Robert Philippe. Barré par Visioli dans les cages alsaciennes, cet étudiant, âgé de 20 ans, est prêté jusqu’à la fin de la saison.

L'Equipe, 19 décembre 1957.
L’Equipe, 19 décembre 1957.

Le désarroi de M. Puntis

A la veille de recevoir Saint-Etienne, rien ne va plus à Toulouse. Le club haut-garonnais est en effet en proie à de graves difficultés menaçant son existence même. M. Puntis, grand argentier qui préside aux destinées du club depuis son sauvetage à la fin de la saison 1950-1951, est à deux doigts de jeter l’éponge.

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Monsieur Puntis, l’homme au chapeau, menace de quitter le Toulouse Football Club.
L'Equipe, 20 décembre 1957.
L’Equipe, 20 décembre 1957.

Les raisons de son désengagement sont plus morales que matérielles. Jean-Marie Puntis est, semble-t-il, très désabusé par la soudaine désaffection des supporters toulousains se traduisant par une baisse significative des recettes du club. Les supporters ne sont pas satisfaits par la tactique de jeu mise en place par l’entraîneur M. Bigot, ancien joueur stéphanois de 1940 à 1942. En effet, ce dernier privilégie une approche défensive et non offensive comme le souhaiteraient les soutiens du club. Ce désaccord majeur conduit à une désaffection du stade lors des matches du club.

L'Equipe, 20 décembre 1957.
L’Equipe, 20 décembre 1957.

La seconde raison réside dans le conflit ouvert entre M. Puntis et les dirigeants des différents clubs de rugby de la ville. Le TFC utilise de manière exclusive depuis neuf années les terrains du Stadium municipal de Toulouse contraignant les rugbymen, véritables idoles dans la cité rose, à s’exiler en banlieue. Le summum de ce conflit se trouve à un moment précis : pour pouvoir accueillir le match international France-Tchécoslovaquie de rugby, le Stade Toulousain a dû payer pas moins de 300 000 francs au TFC. Ces frais de location restent en travers de la gorge des dirigeants du rugby toulousain. qui attendent avec impatience la fin de l’exclusivité du terrain du Stadium municipal prévu pour cette saison 1957-1958…

L'Equipe, 21 décembre 1957.
L’Equipe, 21 décembre 1957.

Retrouver la sérénité

C’est dans cette atmosphère particulière que Jules Bigot a tenté de préparer cette rencontre. Auteur d’un bon match nul à l’aller (1-1), l’équipe toulousaine reste sur deux victoires : à Monaco (2-0) et contre Valenciennes (3-2). Pour Bigot et ses joueurs, l’objectif est double : faire revenir les spectateurs au Stadium municipal et être les premiers à faire tomber les Stéphanois cette saison.

Herbin au repos

Jean Snella, contrairement à ses habitudes, a eu beaucoup de mal à former son équipe. Entre blessés et militaires, son effectif s’est réduit à peau de chagrin. S’il a été rassuré par son capitaine René Domingo et l’état de fraîcheur de ses bidasses, en revanche, après le dernier entraînement vendredi, il a pris la sage décision de laisser au repos Robert Herbin, son jeune inter gauche. « Huit jours de repos supplémentaires ne feront pas de mal à Herbin, explique-t-il. Il faut le ménager car il n’a pas encore 19 ans et il relève de blessures. »

Le jeune Robert Herbin.
Le jeune Robert Herbin, blessé, n’est pas du déplacement à Toulouse. Il s’est vu accorder huit jours de repos par Jean Snella.

Cette absence contrarie quelque peu ses plans mais ne fait pas que des malheureux. Eugène Njo-Léa, déplacé sur l’aile gauche lors des trois dernières rencontres, délaisse ainsi ce poste qu’il n’affectionne que moyennement au profit du Hongrois Ferenc Nyers. Le Camerounais retrouve ainsi une place d’avant-centre occupée jusqu’alors par Yvon Goujon qui glisse de ce fait à l’aile droite.

A Toulouse, Saint-Etienne a un double objectif : ne pas perdre bien sûr mais aussi et surtout essayer de préserver cette invincibilité record en Division 1.

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Au Stadium, Eugène Njo-Léa et Yvon Goujon en tête, espèrent bien poursuivre leur série d’invincibilité.

Retour des spectateurs au Stadium

Pour la venue de Saint-Etienne, 12 882 spectateurs se sont déplacés au Stadium. Est-ce la promesse faite par Bigot de jouer l’attaque ou l’envie de voir tomber pour la première fois de la saison les Verts de Mekloufi ? Ils n’ont pas à le regretter. D’entrée, le TFC prive son adversaire de ballons. Bouchouk (2e) et Schultz (4e) manquent d’un crampon d’ouvrir le score.

Njo-Léa d’entrée

Mais à trop attaquer, les coéquipiers de Cahuzac s’exposent aux contre-attaques meurtrières de leur adversaire. Dès la 5e minute, sur une passe en profondeur de Mekloufi, Njo-Léa échappe à son vis-à-vis Bruat et trompe Roussel, le gardien toulousain (0-1, 5e).

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Maryan Paszko, le gardien stéphanois, repousse l’une des offensives toulousaines.

Malheureux après ce coup du sort, Bigot voit son équipe handicapée par la blessure à la cheville de son demi Bocchi suite à un tacle de Georges Peyroche. Repositionné au poste d’ailier gauche, ce dernier se contente d’un rôle de figurant. Ce handicap n’altère en rien les ardeurs toulousaines.

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Quelques minutes après le premier but inscrit par Njo-Léa, le Toulousain Bocchi se blesse. Il se contente d’un rôle de figurant jusqu’à la fin du match.

A la 27e minute, Njo-Léa, totalement retrouvé, tente un lob qui frôle les poteaux de Roussel.

Mekloufi à la baguette, Nyers à la conclusion

Sa ligne d’avants, composée de la triplette Di Loretto, Muller et Schultz, bien épaulée par le demi Cahuzac, se rue à l’assaut des buts stéphanois. Aux attaques toulousaines, les Verts répliquent par des contre-attaques. Sur l’une d’elles, la troisième seulement, Mekloufi, très inspiré et pour une fois délaissé par Cahuzac, profite de l’aubaine. Il s’empare du ballon et sert Njo-Léa. L’avant-centre stéphanois transmet à Nyers qui inscrit le second but (0-2, 38e).

A la pause, Saint-Etienne mène 2 à 0 contre le cours du jeu.

Toulouse domine, Saint-Etienne marque

La seconde mi-temps est à l’image de la première. Toulouse impose son jeu malgré un terrain très lourd. A la 70e minute, Njo-Léa, à la limite des dix-huit mètres, déclenche une belle frappe du gauche. Roussel plonge pourtant du bon côté mais ne peut que constater les dégâts (0-3, 70e).

Quatre minutes plus tard, les Toulousains sont enfin récompensés de leurs efforts. Suite à un coup franc indirect dans la surface de réparation concédée par Wicart, Muller, à l’affût, réduit le score (1-3, 74e).

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La défense stéphanoise a longtemps résisté aux assauts toulousains. Elle cède une première fois à la 74e minute.

Six minutes plus tard, ce même Wicart loupe totalement son dégagement mais pas Muller qui reprend le ballon de volée et trompe une seconde fois l’infortuné Paszko (2-3, 80e). Ces deux buts coup sur coup de l’avant-centre méridional ont le don de galvaniser le public. La fin de la rencontre se joue dans une véritable ambiance de Coupe de France. Malgré quelques dernières velléités toulousaines, les Verts demeurent invincibles. Ils sont désormais à 18 matches sans défaite.

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Bien articulée autour de Domingo et Tylinski, la défense stéphanoise permet à Saint-Etienne de rester invaincu.

Grâce à une attaque retrouvée et le renforcement de la défense articulée autour de Wicart, des frères Tylinski, bien soutenue par Ferrier et Domingo, Saint-Etienne conserve son invincibilité. « Et c’est nous qu’on accuse de faire le béton » s’exclame M. Puntis, satisfait malgré la défaite de son équipe.

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René Domingo et Pierre Cahuzac.

A Toulouse, Snella a retrouvé l’entente entre Njo-Léa et Mekloufi qui avait fait la force de son équipe championne de France 1957. Auteurs à eux deux de 75 buts en 1956-57, les deux hommes étaient en froid depuis le début de la saison. Cette mésentente se répercutait sur le terrain. Avant le match à Toulouse, Njo-Léa n’avait inscrit que 4 buts et Mekloufi… un seul. Une franche explication entre les deux hommes peu de temps avant le déplacement en Haute-Garonne a permis de mettre fin à cette guerre froide.

VIDEO Dailymotion :

compte-rendu sonore de la rencontre

Saison 1957-1958 TFC-ASSE par TOULOUSEFOOTBALLCLUB

 

Quelques jours après ce succès à Toulouse, Bernard Lefèvre quitte l’AS Saint-Etienne pour Nancy. Sous les ordres de Jean Snella, il a disputé 41 rencontres et marqué 14 buts dont 3 doublés.

L'Equipe, 24 décembre 1957.
L’Equipe, 24 décembre 1957.

Saint-Etienne connaîtra seulement sa première défaite en Championnat le 26 janvier 1958 contre le RC Paris (0-1). Le club du président Faurand sera donc resté invaincu 21 journées.

Thierry CLEMENCEAU

Pour les retardataires, il n’est jamais trop tard…

Toulouse-Saint-Etienne : un parfum de violette

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Sur la route des Verts est désormais sur Twitter

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LA PHOTO

En compagnie de Gérald Passi, ex-joueur du TFC (1985-90) et de l'ASSE (1992-95) lors du dernier ASSE-Lens (3-3).
En compagnie de Gérald Passi, ex-joueur du TFC (1985-90) et de l’ASSE (1992-95) lors du dernier ASSE-Lens (3-3). Musée des Verts.

LOGO MUSEE_horizontal_avec logo ASSE

http://museedesverts.fr

photo : asse.fr

Plus de 70 000 visiteurs ont parcouru le Musée des Verts
depuis son ouverture le 20 décembre 2013. Et vous ?

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Auteur : surlaroutedesverts

Comme Obélix, tout petit, je suis tombé dans le Chaudron. Et je n’en suis jamais sorti. Mon premier souvenir d’un match des Verts remonte au 17 mars 1976. Ce soir-là, Saint-Etienne s’offre une qualification pour les demi-finales de la plus prestigieuse des Coupes d’Europe face au Dynamo de Kiev. Quel plus beau cadeau, le jour de mes 9 ans, que de voir Dominique Rocheteau, Charentais maritime comme moi, faire exploser le stade Geoffroy-Guichard. A travers ce blog, je vous propose de revivre huit décennies de moments forts de l’histoire du club, d’anecdotes croustillantes, de personnages emblématiques et de  matches inoubliables dans une ambiance unique en France…

6 réflexions sur « Toulouse-Saint-Etienne : un exploit sans précédent »

  1. Je suis à chaque fois épaté par le travail de recherche effectué, pour nous pondre des articles aussi instructifs et agréables à lire. Merci beaucoup Thierry !

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    1. Bonjour Yann, merci pour votre commentaire. Relater l’histoire des Verts demande un peu de recherches effectivement. Toutes les anecdotes donnent du piment à l’article. Je suis content que chaque blog enrichisse un peu plus vos connaissances personnelles sur l’ASSE… comme elles m’enrichissent aussi. Merci encore pour votre fidélité. Amicalement Vert. Thierry

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  2. Bonjour Thierry, je me souviens très bien de l’avant -centre de Toulouse Di Loreto (tête d’or ) les duels avec Richard Tylinski (tête blonde ) étaient explosifs . Les Verts disposaient de deux joueurs fabuleux dans le jeu de tête Richard et Roby.

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    1. Bonjour Miche. Merci pour votre commentaire. Ah Richard Tylinski. Cet excellent joueur stéphanois fera bientôt l’objet d’un portrait. J’y travaille déjà. Il fait partie de la première équipe championne de France en 1957. Amicalement Vert. Thierry

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    1. Bonjour Gagak. Je pense que les 3 points seraient bienvenus ce soir. D’autant qu’avec la défaite des Marseillais qui semblent marquer le pas actuellement, on pourrait se relancer pour la course à l’Europe. Amicalement Vert. Thierry

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