La saison 2013-2014 a rendu son verdict : les Verts ont terminé à une très honorable quatrième place. L’équipe de Christophe Galtier est qualifiée pour la Ligue Europa. Les dirigeants stéphanois s’activent déjà pour constituer leur effectif en vue de la saison prochaine. En 1986, le club présidé par André Laurent, accédait à la Division 1. Un jeune Ghanéen, quasi inconnu en France, débarquait à Geoffroy-Guichard pour un essai. Récit.
Pelé signe Chez les Verts !
Il s’appelle Pelé, il porte le même numéro dix, c’est la nouvelle recrue des Verts. Plus petit que son illustre homonyme, un brin chétif, ce joueur — qui vient du Ghana — a néanmoins fortement impressionné le public grenoblois. Voilà un garçon qui pourrait devenir la coqueluche de Geoffroy-Guichard.
Le 13 mai 1986, l’hebdomadaire FranceFootball annonce la signature d’Abedi Pelé à l’AS Saint-Etienne.

Abedi Ayew Pelé est né officiellement le 5 novembre 1964 à Accra au Ghana. Mais pour lui permettre de disputer la Coupe d’Afrique des Nations en 1982, on le vieillit de deux ans. A l’école, dans la cour de récréation, il dribble déjà comme le grand Pelé. Un brin individualiste, ses camarades l’appellent « Pelé, Pelé » pour qu’il lâche un peu le ballon. C’est comme cela qu’Abedi Ayew devient Pelé. Son nom est officiellement inscrit sur son passeport par décision du chef de l’Etat ghanéen, le capitaine Rawlings.

Comme beaucoup de joueurs africains, celui qui fut la révélation de la CAN en Libye en 1982 rêve de jouer en Europe. Le vieux continent, il l’a déjà découvert en novembre 1985 lors d’un essai infructueux à Nantes. A l’époque, Robert Budzinski, le directeur sportif des Canaris, recherche le futur remplaçant de Vahid Halilhodzic mais le Ghanéen n’a pas le profil pour remplacer le buteur nantais. Il rentre au Ghana.
Du Real Tamale United à Saint-Etienne
Au mois de mai 1986, c’est à Saint-Etienne que le Black Star débarque sur les conseils et encouragements de Gérard Dreyfus, le correspondant à Radio France International en Afrique (RFI). Cette fois, pas de taxi comme un certain Salif Keita en 1967 mais le TGV qui relie la gare de Lyon à celle de Châteaucreux. Le grand Salif était arrivé seul, Abedi, lui, est accompagné de Christian Duraincie, un manager parisien.

Pierre Garonnaire l’accueille à son arrivée dans le Forez. Dès le lendemain, il dispute un match avec l’équipe réserve. Il inscrit deux buts. Lors des séances d’entraînement, il démontre l’étendue de son talent. Il côtoie des joueurs comme Castaneda, Kurbos ou Milla, l’attaquant camerounais des Verts. Malheureusement pour Pelé, Roger Milla ne parle pas un mot d’anglais alors que Pelé ne converse que dans la langue de Shakespeare.

S’il convainc les dirigeants stéphanois durant son essai, ces derniers devront débourser la modique somme de 50 000 F. pour s’attacher ses services.
En cette année de Coupe du monde mexicaine, le championnat de France comme la plupart de ceux européens, a donné son verdict dès fin avril. Pour faire rentrer un peu d’argent frais dans les caisses des clubs, les organisateurs du Loto Sportif et la Ligue nationale relancent la Coupe de la Ligue. Tous les clubs inscrits en D1 et D2 en 1985-86 sont invités à y participer.
Henrik Kasperczak, s’il ne peut encore disposer de Dimitrov et Slavkov, ses deux recrues bulgares, entend bien voir à l’oeuvre celui qui enchante par ses « dribbles et gris-gris » à l’entraînement.
S’il ne participe pas au premier match contre Le Puy (2-0 devant 2 997 contre plus de 42 000 en championnat pour ce même adversaire…), en revanche, il est titulaire contre Grenoble au stade Lesdiguières. Sa prestation ne passe pas inaperçue comme le relate L’Equipe du 12 mai 1986.
Le week-end suivant, c’est jour de derby à Saint-Etienne. Les Verts reçoivent leur voisin lyonnais. Canal Plus, à défaut de Mondial, est partenaire de la Coupe de la Ligue et retransmet le match en direct. Oleksiak (Metz), Milla (Montpellier) et Bellus (Toulouse) font leurs adieux au public de Geoffroy-Guichard. Pelé, de nouveau titulaire au milieu, entend bien briller devant les caméras de la chaîne cryptée et montrer l’étendue de son talent au public stéphanois. Un derby revêt toujours un parfum particulier.

Devant 3 750 spectateurs, les Verts s’imposent 2-0 et se qualifient pour le deuxième tour de cette compétition. Durant les soixante-douze minutes qu’il passe sur le terrain, Pelé l’altruiste, fait l’étalage de ses qualités et dompte la balle. Visiblement, l’ASSE tient là un véritable artiste. Suffisant, pour signer un contrat chez les Verts ?
A croire que non. Christian Duraincie, l’homme dépêché par Garonnaire, est chargé d’annoncer la mauvaise nouvelle au Ghanéen. Saint-Etienne veut réussir son retour en Division 1. Pour cela, son recrutement s’est porté sur deux joueurs étrangers expérimentés et au talent reconnu : les Bulgares Georgi Dimitrov (capitaine de sa sélection) et Georgi Slavkov (ancien Soulier d’Or). Garonnaire pense que les deux joueurs de l’Est constituent une sécurité pour le club. Abedi Pelé peut rester dans le Forez mais il commencera la saison en Division 3. Très déçu, il refuse poliment la proposition et reprend le TGV à destination de Paris en compagnie de Duraincie.
Parizon le rattrape au vol
Les Chamois Niortais viennent de boucler leur première saison en Division 2. Patrick Parizon, ancien joueur de la « maison verte », cherche un milieu offensif capable d’occuper le flanc gauche pour la saison à venir. « Papa » qui a gardé de solides attaches à Saint-Etienne, était de passage dans la ville pour une transaction immobilière. Il en profite pour faire un tour à Geoffroy-Guichard où les joueurs s’entraînent. Il découvre un jeune Africain à l’entraînement. Il se renseigne sur ce joueur inconnu à ses yeux. Mais les frères Duraincie préfèrent placer leur jeune poulain dans une écurie de Division 1. L’entraîneur niortais laisse tomber.

Le 19 mai, lors du match contre Lyon, un éducateur des Chamois Niortais, devant son poste de télévision, découvre, à son tour, Abedi Pelé. Surpris par la qualité du joueur, il en avertit l’entraîneur. Quelques semaines plus tard, Parizon, à nouveau de passage dans le Forez, apprend de la bouche de Pierre Garonnaire que l’ASSE n’avait pas conservé le petit Ghanéen. Le recruteur des Verts, voyant Parizon intéressé par le profil du joueur, le met aussitôt en relation avec les frères Duraincie. Bien que le joueur soit réfractaire à évoluer en Division 2, il concède à venir faire un essai à Niort. Auteur de grosses prestations en amical, notamment contre La Rochelle à Mauzée-sur-le-Mignon où il inscrit un but d’un ciseau retourné en pleine lucarne, le Ghanéen paraphe un contrat de deux ans avec le club deux-sévrien.

Sa renommée passe par Niort
A Niort, Abedi Pelé montre ses vrais talents et enchante par sa virtuosité technique. Les Chamois font la course en tête la majeure partie de la saison et accèdent à la Division 1. Régulièrement abonné aux 5 étoiles de FF, il termine la saison à trois longueurs de son coéquipier et capitaine Pascal Gastien. Au cours de cette saison, il inscrit 14 buts, loin derrière Tony Kurbos, l’ex-Vert (22 buts avec Mulhouse) et délivre une bonne demi-douzaine de passes décisives. Il a réussi son pari : se faire connaître aux yeux du grand public. La Division 1 lui tend les bras.

Saint-Etienne, en Division 1, termine 16e (33 points) à deux points du premier relégable, Sochaux. Les deux Bulgares, quant à eux, connaissent des fortunes diverses. Dimitrov a justifié pleinement sa réputation de défenseur expérimenté. La défense des Verts n’a encaissé que 32 buts, ce qui en fait l’une des meilleures du championnat. Le Bulgare termine en tête des étrangers aux étoiles de FranceFootball.

En revanche, l’attaque n’a pas été très prolifique : seulement 27 buts inscrits. Slavkov, souvent blessé, ne dispute que 18 matches sous le maillot vert pour aucun but marqué.
Vogue la galère
A la surprise générale, le Ghanéen ne connaît pas la Division 1 avec Niort. La faute à une grosse mésentente concernant une prolongation de contrat avec le président Figari. Ce dernier souhaite prolonger le contrat de Pelé de trois ans mais à des conditions financières qui ne correspondent pas au salaire demandé par le joueur. Le joueur part en vacances dans son pays natal. A son retour, il reprend l’entraînement avec ses anciens et nouveaux partenaires dont Juan Andres Larres, un jeune Uruguayen. Les Chamois se retrouvent avec trois étrangers hors CEE (Amanallah est en attente de sa naturalisation française). Pelé, une nouvelle fois, se retrouve dans la peau du troisième étranger. Figari menace même de le faire jouer en DH à Niort s’il reste au club. On est à la limite du gag.
Le Paris-SG, qui lui a fait les yeux doux, l’a supervisé plusieurs fois dont une en Coupe de France contre Auxerre à Tours, a laissé tomber l’affaire. Niort demandait 8 MF, les dirigeants du PSG en proposaient 4. Patrick Parizon, de son côté, ne souhaite pas le départ de son joueur. Il sait ce que peut apporter son meilleur élément à son équipe en Division 1. Son président ne veut rien entendre et c’est finalement à Mulhouse (D2) qu’il est prêté. Cela ressemble à une punition pour Abedi. La caractériel président Figari décroche son téléphone et propose son joueur au président Goerig. Ce dernier croit même à un canular : « Te fous pas de ma gueule ! », lui dit-il. Trois jours après cet appel, le petit Ghanéen se retrouve dans l’Est de la France. En Alsace, il se morfond. Ce n’est pas une invitation du Bayern Munich à venir disputer une mi-temps contre Liverpool qui lui redonne le moral. A la trêve, l’OM de Tapie l’engage comme joker. mais comme à Saint-Etienne un an et demi auparavant, le club phocéen compte déjà deux étrangers. Cette fois, ce ne sont pas deux Bulgares mais deux Allemands : Allofs et Förster. A l’entraînement, débordant d’énergie, il veut prouver sa valeur mais agace, dérange même. Ses relations avec Jean-Pierre Papin et les deux étrangers, entre autres, ne sont pas des meilleures. Tapie et Hidalgo pensent que les choses vont s’aplanir et fondent de gros espoirs sur le Ghanéen.

Les Verts pensent à … Pelé
Il commence pourtant la saison 1988-89 avec l’OM mais souhaite quitter la Provence au plus vite. Ca tombe bien, Saint-Etienne, orphelin du Marocain Mustapha El-Haddaoui, pense à recruter un milieu de terrain. Herbin revenu au club un an plus tôt, doit faire face à la méforme de certains de ses joueurs-cadres et compte également quelques titulaires blessés. Il doit également gérer le « cas Castaneda », évincé de sa place de titulaire et candidat à un départ après quatorze ans de bons et loyaux services. Le début de championnat est très décevant : après cinq journées, l’ASSE ne compte aucune victoire pour seulement 2 points au compteur. Le club envisage donc de prendre un joker. Le choix de ne pas recruter un véritable meneur de jeu à l’intersaison semble être une erreur.
Le vendredi 12 août, la venue de l’OM à Saint-Etienne en championnat est l’occasion pour les dirigeants stéphanois de sonder leurs homologues olympiens sur le cas Pelé. Mais ce dernier ne fait pas partie du déplacement à Geoffroy-Guichard. Pierre Garonnaire se souvient du passage du Ghanéen à Saint-Etienne deux ans plus tôt. C’est la mort dans l’âme qu’il avait dû renoncer à ce joueur pétri de talent. Abedi Pelé a le profil pour jouer à l’ASSE, encore faut-il qu’il obtienne sa naturalisation assez rapidement. Les dirigeans olympiens, de leur côté, ne sont pas opposés à un départ du joueur.

Dans L’Equipe du 16 août 1988, Herbin consent : « On parle depuis quelques jours de contacts avec le Marseillais Pelé. C’est nouveau, je le répète ! S’il faut engager quelqu’un, autant que ce soit maintenant, en effet. Sera-ce Pelé ? Il faut pousser l’analyse plus à fond. Sa possible venue a été évoquée, ce dernier week-end, du fait de la visite de l’OM. Pelé a des qualités intéressantes méritant examen. Celui-ci sera fait dès que le programme sera fait. »
Pelé encore barré par deux étrangers à l’ASSE
Le 20 août, les Verts s’inclinent une nouvelle fois devant Monaco à domicile. A l’issue du match, André Laurent, le président stéphanois, doit faire face à la grogne venant des tribunes. D’ordinaire peu enclin à consulter son horoscope, le président stéphanois le regarde de plus près ces derniers temps. On lui avait prédit un mois d’août très difficile, cela se confirme. Son club est 19e. Il en profite néanmoins pour faire une mise au point : « Ce ne sera probablement pas Pelé parce que nous avons déjà deux étrangers et un dossier de naturalisation en souffrance avec Chaouch. »
Les Verts renoncent donc une nouvelle fois à engager le Ghanéen. Lille, par l’intermédiaire de Bernard Gardon (un ancien de la « maison verte ») devenu directeur sportif du LOSC, propose 4 MF à Bernard Tapie pour son joueur. Pelé fait une nouvelle fois ses valises direction le Nord.
Il était écrit que Pelé ne signerait donc jamais chez les Verts.
Thierry CLEMENCEAU
