La trêve hivernale est l’occasion pour les joueurs professionnels de recharger les accus. Après le temps des agapes, quelques clubs choisissent l’air de la montagne pour faire le plein d’oxygène, d’autres le soleil comme Saint-Etienne en cette fin d’année 1971. Depuis qu’Albert Batteux entraîne l’équipe professionnelle, c’est la première fois qu’elle n’est pas championne d’automne. Neuf points séparent les Verts (7e) de l’Olympique de Marseille, le leader. Cette situation n’est pas sans poser quelques interrogations au sein de l’état major stéphanois.
Albert Batteux restera-t-il à la tête des Verts ? Les rumeurs l’annoncent à Reims, à l’étranger, en équipe de France mais lui dément. Salif Keita est en discussions avec ses dirigeants pour une prolongation de contrat jusqu’en juin 1976. La tournée en Afrique noire tombe à point pour resserrer les liens et renforcer la cohésion de l’équipe mais aussi pour préparer au mieux la deuxième partie de saison.
A l’instar d’Ajaccio et Valenciennes, l’AS Saint-Etienne a choisi l’Afrique. Au programme : le Sénégal et le Mali. Ce séjour s’annonce passionnant et enrichissant à plus d’un titre : jouer contre des adversaires dont elle ignore tout ou presque mais aussi aller à la découverte de civilisations différentes.
Bathenay invité de la dernière heure
Tous les joueurs de l’ASSE sont convoqués pour le dimanche 26 décembre. Tous sauf un : Christian Sarramagna qui souffre d’une angine, déclare forfait pour cette tournée. Pour le remplacer, ses dirigeants pensent tout de suite à un nom : Dominique Bathenay. Alors qu’il s’apprête à réveillonner en famille près de Tournon, un télégramme lui apprend qu’il s’envolera le dimanche matin pour l’Afrique avec les professionnels. Le pensionnaire de l’équipe de troisième division dirigée par Robert Philippe ne pensait pas que le Père Noël serait aussi généreux en cette fin d’année. A 17 ans, ce milieu gauche, repéré par Pierre Garonnaire un an plus tôt dans la sélection cadets du Lyonnais, va découvrir la grande équipe professionnelle de Saint-Etienne. Sa convocation tardive fait qu’il sera le seul de la délégation à ne pas porter le costume officiel du club. Mais qu’importe…

Albert Batteux emmène donc un groupe de dix-huit joueurs : Castel, Migeon, Repellini, Merchadier, Herbin, Farison, Polny, Larqué, Broissart, Sanlaville, Parizon, Revelli, Keita, Bereta, Synaeghel, Santini, Lopez et Bathenay. A cette liste, il faut ajouter le docteur Poty, Pierre Garonnaire, quelques dirigeants et journalistes.
Embarquement immédiat
Le 27 décembre, à peine le réveillon de Noël digéré, une délégation de vingt-six personnes s’envole vers les onze heures de l’aéroport de Lyon-Bron via Orly, pour dix jours. Première destination : Dakar, avec au menu, un match contre Jaraaf, le leader du championnat sénégalais.
Les imprévus de Dakar
L’arrivée à Dakar est rocambolesque. Le bus affrété par la délégation stéphanoise ne peut l’accueillir dans sa totalité. Il faut donc faire appel à plusieurs taxis pour compléter l’étroitesse du bus. Direction l’hôtel.
Là encore, les Verts ne sont pas au bout de leurs surprises. L’hôtel réservé avec soins par Pierre Garonnaire quelques mois auparavant ne contient qu’une dizaine de chambres disponibles à leur arrivée. Les joueurs sont finalement logés dans trois hôtels à des lieux différents, voire même parfois éloignés. Les plus chanceux héritent de bungalows en bord de mer. La ponctualité et la rigueur de « Garo » sont mises à mal.
Si pour la grande majorité des joueurs, Dakar est une découverte, il en est un qui connaît déjà les lieux. En effet, Georges Polny a déjà foulé la pelouse du stade de l’Amitié pour y être venu disputer un match avec l’équipe de France amateurs aux Jeux de l’Amitié en 1963.

Jaraaf : un bon galop d’essai
Finalement, c’est sous les yeux d’Abdou Diouf, Premier ministre du Sénégal, que les Verts disputent le premier match de leur tournée africaine contre Jaraaf de Dakar. Le leader du championnat sénégalais compte sept internationaux dans ses rangs. Un bon galop d’essai pour les Stéphanois qui s’imposent 3-1 grâce à des buts de Larqué (20e) après un une-deux avec Keita, Bereta (53e), sur un centre de Parizon et Sanlaville (59e) d’une frappe tendue de trente mètres. M’Baye Fall (35e) réduit le score pour Jaraaf.
A l’applaudimètre, Patrick Parizon remporte la palme loin devant Keita l’Africain. Ses envolées, ses débordements et centres ont séduit les 25 000 spectateurs de Dakar.
le 29 décembre, L’Equipe titre en Une : « 25 000 Sénégalais ont applaudi Saint-Etienne ».
28 décembre 1971. Saint-Etienne-Jaraaf de Dakar : 3-1 (1-1).
Buts.- Jaraaf de Dakar : M’Baye Fall (35e) ; Saint-Etienne : Larqué (20e), Bereta (53e), Sanlaville (59e).
JARAAF : Ibnouk – Tidiane, Attila, Issa, I. Ba (dit Eusebio) – Diaye (puis Da Silva), Camara (puis Sakho) – N’Diaye, Sanbon (Délégué), M’Baye Fall, Diagne.
SAINT-ETIENNE: Migeon (Castel) – Broissart, Herbin, Lopez (puis Repellini), Farison (puis Polny) – Larqué, Sanlaville – Parizon, Bereta, Keita, Synaeghel (puis Santini). Entr. : Batteux.

Dernières péripéties avant Bamako
Première escale, première victoire, de quoi apaiser les esprits et surtout calmer Garo. Pourtant, il n’est pas au bout de ses surprises. Le lendemain matin, il apprend que la liaison Dakar-Bamako ne peut s’effectuer qu’en deux vols espacés de vingt-quatre heures d’intervalle. Si Albert Batteux prend les choses avec philosophie, en revanche, pour l’organisateur de cette tournée, c’en est trop. Garo n’apprécie guère tous ces aléas et brandit la menace d’un retour express en France. Les joueurs voulaient voir Bamako, sous le coup de la colère, il leur promet Saint-Etienne.
Finalement, les choses s’arrangent : une heure et demie plus tard, toute la délégation stéphanoise foule le sol de Bamako.
Sur les terres de Salif
Les Stéphanois sont pris en charge à l’aéroport par Salif Keita. Celui qui a inscrit 17 buts en autant de rencontres lors des matches aller, est fier de recevoir ses coéquipiers sur ses terres. L’arrivée des Verts provoque un véritable engouement, notamment chez les jeunes Maliens. Depuis l’arrivée de Salif Keita à Saint-Etienne en 1967, les dirigeants stéphanois réfléchissaient à un séjour au Mali. C’est chose faite.

Des marchés de Bamako à l’ambassade de France
Salif Keita se transforme en guide auprès de ses coéquipiers. Il est fier de faire visiter sa ville, de faire partager à ses camarades de club l’ambiance de ce pays qui l’a vu naître. Grâce à lui, les joueurs stéphanois peuvent profiter des rues pittoresques, du jardin zoologique ou des nombreux marchés implantés à Bamako pour s’imprégner de la culture locale. Mais il n’oublie pas de leur montrer la maison familiale et le terrain vague où il avait fait ses premiers pas de footballeur. On est loin de Saint-Etienne et son hiver souvent rigoureux.
L’agenda est plutôt chargé pour cette deuxième étape. Ils sont reçus à l’ambassade de France. Autre moment fort de leur tournée, les joueurs stéphanois ont la surprise de voir débarquer à leur hôtel les dirigeants du Real de Bamako, club d’origine de Salif Keita. Ils ne sont pas venus les mains vides puisque chaque hôte reçoit des cadeaux de leurs visiteurs d’un jour.
A la demande de la fédération malienne, Albert Batteux, fort de son expérience, prodigue une conférence aux entraîneurs maliens sur le thème : « Le rôle et la mission de l’entraîneur de football ».

Salif Keita contre les siens
Avant le passage à la nouvelle année, les Verts disputent le premier des deux matches prévus contre la sélection nationale malienne. Comme à Dakar, le président du pays assiste à ce premier rendez-vous. Les 25 000 spectateurs veulent voir Salif Keita, l’enfant du pays. Ce dernier est la grande attraction de cette première confrontation pour des Maliens qu’ils n’ont jamais vu à l’oeuvre avec son club d’adoption. Keita se révèle de surcroît de saison en saison, comme l’un des meilleurs footballeurs au monde. L’AS Saint-Etienne s’est engagée à libérer le Malien dès la fin janvier pour la Coupe d’Afrique des Nations à laquelle son pays participe.
Vidéo : Albert Batteux évoque l’arrivée de Salif Keita à Saint-Etienne. Autoportrait du Malien.
La chaleur orageuse n’a pas raison des Stéphanois moins fringants qu’à Dakar. Le public malien était impatient de revoir celui qui est la fierté de tout un continent. Ils ne le voient que par intermittence.
Rapidement menés 2-0, les coéquipiers de Bereta rétablissent l’équilibre par Revelli et Larqué. A nouveau menés, Synaeghel arrache le nul à huit minutes de la fin. Le public de Bamako reste sur une impression mitigée.
31 décembre 1971. Mali et Saint-Etienne : 3-3 (3-2).
Buts.- Mali : Diallo (5e), Touré (7e, 31e) ; Saint-Etienne : Revelli (8e), Larqué (24e), Synaeghel (82e).
Mali : M. Keita – Coulibaly, I. Maïga, C. Traoré, M. Maïga – A. Traoré (K. Keita, Yattassaye – Koné (M. Traoré), Diallo, Touré, Diakité.
Saint-Etienne : Migeon – Broissard, Merchadier (Lopez), Herbin, Polny (Farison – Larqué, Sanlaville (Synaeghel), Parizon, Revelli (Santini), Keita, Bereta.
Les Stéphanois, bien qu’à 5 000 kilomètres de Saint-Etienne, fêtent dignement le passage à la nouvelle année. Les dirigeants, Charles Paret en tête, ont pris soin de leurs joueurs en les invitant dans l’un des meilleurs restaurants de Bamako.

Keita joue et marque contre les Verts
Pour leurs retrouvailles avec le public malien, les Stéphanois sont privés de leur « perle noire ». Comme convenu, Keita joue avec la sélection malienne contre ses coéquipiers de club. La chaleur qui règne sur la capitale du Mali n’empêche pas les joueurs d’Albert Batteux de pratiquer un jeu plus conforme à leur réputation. Albert Batteux l’a dit et répété. Pour lui, cette tournée n’a rien d’un séjour touristique. Elle sert avant tout à préparer la deuxième partie de saison. Ses joueurs l’ont bien compris. A la 51e minute, Larqué douche d’un tir foudroyant l’enthousiasme des 20 000 spectateurs du stade omnisports qui n’ont d’yeux que pour Salif Keita. Chaque dribble, chaque envolée sont ponctués de clameurs. Et c’est justement le Malien de Saint-Etienne qui joue un mauvais tour à ses adversaires d’un après-midi. Comme Synaeghel deux jours auparavant, l’idole de tout un peuple profite d’un mauvais dégagement de Castel pour égaliser. Le Mali et Saint-Etienne se quittent donc en bons amis sur deux résultats nuls.
Le 2 janvier 1972. Mali-Saint-Etienne : 1-1
Buts. – Mali : S. Keita (82e) ; Saint-Etienne : Larqué (51e).
Mali : M. Keita – Coulibaly, Diane, K. Dialolo, Sangare – O. Traore, I. Maïga – C. Diallo, Salif Keita, Touré, K. Keita (puis Diakité).
Saint-Etienne : Castel – Broissart (puis Farison, Lopez, Herbin, Repellini – Synaeghel, Sanlaville – Parizon, Santini (puis Revelli), Larqué Bereta.

Le bilan de cette tournée est globalement positif : une victoire à Dakar et deux nuls à Bamako. Le 4 janvier 1972, les Verts reprennent l’avion direction Lyon-Bron avec des souvenirs plein la tête. Albert Batteux, s’il ne veut tirer de conclusions hâtives de ce séjour particulier, repart tout de même avec quelques certitudes. Pour Pierre Garonnaire, le séjour se termine mieux qu’il n’avait commencé. Un moindre mal.