Ce dimanche 30 novembre 2014, l’AS Saint-Etienne reçoit l’Olympique Lyonnais au stade Geoffroy-Guichard. Ce derby s’annonce passionnant entre deux clubs qui occupent le haut du classement. En 1964, les deux formations jouaient les premiers rôles en Division 1. Le dimanche 16 février, l’ASSE, alors leader, recevait l’OL. En cas de victoire, les hommes de Jean Snella augmentaient leurs chances de remporter le deuxième titre de l’histoire du club. Bonne lecture.
Saint-Etienne a mal commencé le mois de février 1964. Battus le 2 en Championnat à Monaco (2-1), les hommes de Jean Snella se sont à nouveau inclinés une semaine plus tard contre Valenciennes (1-2) en seizièmes de finale de la Coupe de France. Au Parc des Princes, les Nordistes, à dix contre onze, ont bouté hors de la compétition les vainqueurs de la Coupe 1962.
Cette élimination a laissé des traces chez les Stéphanois. A commencer par Robert Herbin qui a repris l’entraînement avec une belle bosse sur le tibia alors que Rachid Mekloufi a l’oeil gauche poché. Les deux hommes ont rejoint André Guy et Frédéric N’Doumbé à la salle de soins.

Le mardi 12 février, Snella n’est pas là pour remonter le moral des troupes. Il s’est absenté vingt-quatre heures pour aller régler quelques affaires personnelles à Genève. C’est M. Vernay, l’entraîneur des amateurs qui assure la séance d’entraînement.
Rocher remonte le moral des troupes
Roger Rocher, le président stéphanois, comme souvent, est venu prendre le pouls de son équipe. Il constate que le moral des troupes n’est pas au mieux. A cinq jours du match peut-être le plus important contre le voisin lyonnais, il décide de réunir ses joueurs et leur tient le discours suivant : « Je profite de l’absence de Jean Snella pour vous rappeler tout ce que vous lui devez vous, les anciens, qui pouvez poursuivre ou terminer brillamment, grâce à lui, votre carrière, et vous, les jeunes, qui allez conquérir la gloire. Nous ne vous en voulons nullement de votre défaite de dimanche en Coupe. Vous nous avez donné tant de satisfactions cette saison que nous aurions mauvaise grâce de nous plaindre.
Vous êtes encore de solides leaders dans le Championnat, vous devez le rester et améliorer encore votre position. Il faut vous ressaisir et jouer, dès dimanche contre Lyon, avec ce moral de vainqueurs qui vous rendait invincibles. Vous le devez à votre entraîneur. »
Pour l’homme à la pipe : « Notre élimination de la Coupe n’est pas une catastrophe. En effet, sans ce but hors jeu accordé par l’arbitre et qui provoqua notre défaite, nous étions dans l’obligation de rejouer contre Valenciennes jeudi prochain. A trois jours d’un derby toujours difficile contre Lyon et qui le sera plus encore qu’à l’habitude, nos joueurs auraient été handicapés dimanche. »

Derby, le mot est lâché. Pour cette rencontre pas comme les autres, toute la région stéphanoise est en ébullition. Le 13 février 1964, Charles Paret, le secrétaire général du club, dresse un premier bilan des ventes de places. Avec 9 millions d’anciens francs de location déjà engrangés, il prévoit une assistance oscillant entre 35 000 et 38 000 âmes le jour J. Il faut remonter au 24 février 1957 pour trouver trace de la plus grosse affluence au stade Geoffroy-Guichard. Ce jour-là, 30 968 spectateurs avaient assisté au match de Division 1 qui opposait Saint-Etienne à Reims (0-0, 25e journée).
Le derby suscite toujours une grande passion
Les Lyonnais n’ont pas eu à puiser dans leurs réserves après leur facile victoire face à Forbach (2-0) en Coupe de France. Une chose est certaine : ce derby entre les deux équipes de tête suscite une grande passion dans la cité de la soie. Plusieurs milliers de Lyonnais ont prévu de faire le court déplacement jusqu’au stade Geoffroy-Guichard.
Cet engouement s’explique assez facilement. A l’aube de cette 22e journée de Division 1, l’équipe de Jean Snella est leader du Championnat et compte 27 points. Invaincue à domicile, elle n’a connu que trois défaites à l’extérieur (à Toulouse, Strasbourg et Monaco). Meilleure attaque de la saison avec 46 buts, André Guy, son meilleur buteur, a fait déjà fait trembler les filets à 18 reprises.
Sa rivale lyonnaise -qui compte un match en plus- est 2e ex aequo (avec Lens et Monaco) avec 25 points. Légèrement moins prolifique (39 buts) son meilleur buteur n’est autre que le Franco-Argentin Nestor Combin (16 buts) qui forme avec son compatriote Angel Rambert, un duo redoutable. Jamais les deux grandes villes voisines n’avaient eu leurs représentants ensemble à la tête du Championnat de France de Division 1 à la veille de se rencontrer.

Richard Tylinski, dernier blessé d’une longue série
Dès le mercredi matin, Jean Snella a repris les rênes de son équipe. Il n’envisage pas de dispositif particulier comme une mise au vert pour préparer cette rencontre qu’il qualifie de «décisive». Déjà privé de son capitaine Domingo et Ferrier, soit deux de ses défenseurs les plus expérimentés, il ne sait pas encore s’il pourra compter sur Richard Tylinski. Se plaignant de la cuisse gauche, le puissant défenseur central des Verts a dû écourter la séance d’entraînement. Sa participation au derby est désormais entre les mains du médecin du club. En cas de forfait de Tylinski, Sbaiz se tient prêt même si Snella a une autre solution : faire reculer Herbin qui aurait alors la lourde tâche de marquer l’avant-centre lyonnais Nestor Combin.

Herbin ou Foix pour remplacer Tylinski
Pour Herbin, ça serait un retour aux sources. International junior, il occupait déjà ce poste de défenseur central. Mais déplacer Herbin comporte le risque de priver Mekloufi d’un partenaire avec lequel il s’entend à merveille. Malgré ces tracas défensifs, Saint-Etienne ne manque pas de solutions. Foix a les faveurs de Snella pour remplacer Sbaiz alors que Polny, incorporé au Bataillon de Joinville, est rappelé pour ce match.

Le record de recette est battu
Côté billetterie, les guichets du stade ne désemplissent pas. Le vendredi, soit 48 heures avant l’évènement, ce sont 12 millions de recettes qui sont enregistrés. Charles Paret, toujours lui, annonce que d’ores et déjà le record enregistré pour la venue des Glasgow Rangers lors de la première participation des Verts en Coupe d’Europe, soit 11 millions d’anciens francs (29 517 spectateurs), a été dépassé.
A match exceptionnel, mesures exceptionnelles. Les dirigeants stéphanois, pour éviter tout débordement, ont multiplié par quatre le service d’ordre. Les installations du stade ont été agrandies, ce qui porte la capacité de celui-ci à près de 40 000.

Les Lyonnais se divertissent avec les All Blacks
Côté Lyonnais, Lucien Jasseron a allégé le programme de ses joueurs pour ne prendre aucun risque. Le mercredi, ils ont assisté au match de rugby à Lyon qui a opposé une sélection du Sud-Est aux All Blacks (5-8).

Contrairement à son homologue stéphanois, l’entraîneur de l’OL a décrété une mise au vert dans les monts du Lyonnais pour éviter les nombreuses sollicitations liées au match. Une victoire en terre stéphanoise effacerait quelque peu la défaite du match aller le 22 septembre 1963 à Gerland (4-5).

« Allez les Verts ! »
Dimanche 16 février, à 12 h 36, gare de Lyon-Perrache, l’autorail qui relie Lyon à Saint-Etienne s’apprête à quitter la capitale des Gaules rempli de supporters lyonnais. Le préposé au haut-parleur, sans doute un supporter stéphanois, s’écrie alors à plusieurs reprises : « Allez les Verts ! » Le derby est bien lancé.

Double record pour Saint-Etienne
Il est 15 heures. 33 526 spectateurs, dont 7 à 8 000 Lyonnais, se sont massés dans le stade Geoffroy-Guichard, laissant au passage seize millions d’anciens francs (162 938,20 F), ce qui constitue un double record affluence-recette pour l’ASSE. Dès le premier jour de la location, toutes les places assises avaient été achetées, du jamais vu à Saint-Etienne. Comme contre Reims en 1957, plusieurs milliers de chaises ont dû être rajoutées pour satisfaire le plus grand nombre.

Plusieurs personnalités locales sont présentes à commencer par M. Graeve, le préfet de la Loire et, bien sûr, les maires des deux villes : M. Pradel pour Lyon et M. Fraissinette, pour Saint-Etienne. Cet engouement des personnalités fait dire à Roger Rocher : « C’est la première fois qu’un si brillant parterre d’autorités assiste à un match ici. Je m’en réjouis, car les pouvoirs publics auront pu se rendre compte de visu de l’énorme popularité du football dans la région et tout ce qu’on peut en attendre.»
Les Lyonnais débutent le match avec un vent violent contraire. Les cheminées d’usines, fumantes, qui bordent le stade Geoffroy-Guichard, crachent des nuages de fumée rougeâtre.

La pendule du stade n’affiche pas encore les cinq minutes de jeu que Lyon obtient déjà un corner. Taberner se charge de l’exécuter. Cassado et Bernard se gênent ce qui contraint le gardien stéphanois à dégager le ballon des deux poings dans les pieds de… Rambert. L’attaquant lyonnais, ravi de l’aubaine qui lui est faite, inscrit le premier but de la partie (0-1, 5e).

Ce coup du sort n’altère pas l’envie d’aller de l’avant des Stéphanois. Dix minutes plus tard, ils obtiennent un bon coup-franc à vingt mètres de la cage d’Aubour. Rachid Mekloufi, d’une frappe puissante, transperce le mur lyonnais et trompe Aubour, malgré un beau plongeon à l’horizontale sur sa gauche (1-1, 15e).

Degeorges marque contre son camp
A la 37e minute, Saint-Etienne obtient un corner que frappe N’Doumbé. Le ballon flottant qui rase la ligne, est effleuré légèrement de la tête par André Guy, ce qui surprend Degeorges, le demi lyonnais, qui prolonge bien involontairement le cuir dans les buts de Marcel Aubour (2-1, 37e). Au stade Geoffroy-Guichard, on ne s’ennuie pas, le ballon voyage d’un but à l’autre, le spectacle est au rendez-vous. L’ambiance survoltée oblige même tantôt Bernard, tantôt Aubour à demander gentiment aux supporters installés derrière leur but à tempérer les jets de pétards.

Après 45 minutes de haute facture, M. Bondon, l’arbitre de la rencontre, renvoie les 22 acteurs aux vestiaires sous les applaudissements d’un public ravi du spectacle. Les nombreux spectateurs ne s’y sont pas trompés. Qu’il s’appelle Herbin ou Combin, Aubour ou Bernard, tous ont eu droit à une salve d’applaudissements à chaque belle action ou geste de grande classe.

En deuxième période, les Lyonnais jouent leur va-tout alors que les Stéphanois se contentent de défendre leur petit but d’avance. Bien regroupés autour de l’expérimenté Jacques Foix, ils s’en remettent le plus souvent à leur gardien international Pierre Bernard pour préserver leur avantage.

Les Verts terminent au courage
Mekloufi, malgré la domination lyonnaise, ne se décourage pas et, bien que malchanceux dans ses tirs, reste le maître à jouer des Verts. Quant à Herbin, son courage est à la hauteur de son talent. D’abord touché à l’arcade droite, il est ensuite victime d’une petite élongation à la cuisse droite qui le handicape pour la fin du match.
Au coup de sifflet final, c’est la délivrance pour les Verts. Herbin, pris dans son élan, envoie le ballon dans les tribunes et fait un spectateur heureux.

La colère de Nestor Combin
Nestor Combin, très déçu du résultat, a bien du mal à cacher sa colère dont Foix a failli faire les frais. Finalement, les larmes du premier furent vite séchées par le réconfort du second. Sans une grande maladresse devant le but par deux fois, le Franco-Argentin aurait pu être le héros de ce derby.

« Bill » Domingo, hospitalisé dans la polyclinique stéphanoise, victime d’une double fracture à une jambe le mois précédent à Valenciennes en Championnat, a suivi le match à la radio. Aussitôt le coup de sifflet final, il s’est empressé d’appeler au stade Geoffroy-Guichard le président Rocher pour féliciter joueurs et entraîneur.
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Saint-Etienne s’impose donc dans ce 20e derby entre les deux clubs en Division 1. Il accentue son avance au classement sur l’un de ses plus dangereux concurrents et file un peu plus vers son deuxième titre de Champion de France. L’Olympique Lyonnais, qui n’avait plus connu la défaite depuis le 17 novembre 1963, est désormais relégué à 4 points du leader stéphanois.
Thierry CLEMENCEAU
Buts.- Saint-Etienne : Mekloufi (15e), Degeorges (35e, c.s.c.) ; Lyon : Rambert (5e).
Saint-Etienne : Bernard – Cassado, Sbaiz, Polny – Foix, Mitoraj – Salen, Herbin, Guy, Mekloufi, N’Doumbé. Entr.: Snella.
Lyon : Aubour – Djorkaeff, Polak, Mignot – Degeorges, Leborgne – Dumas, Rambert, Combin, Hatchi, Taberner. Entr.: Jasseron.
Saint-Etienne en 1964
La ville de Saint-Etienne est de nouveau à l’honneur en cette année 1964 grâce à son équipe de football, championne de France pour la seconde fois de son histoire. A cette occasion, les reporters du journal télévisé nous présentent la cité Stéphanoise.
L’objet

http://museedesverts.fr/
60 000
C’est le nombre de visiteurs qui ont parcouru le Musée des Verts depuis son ouverture le 21 décembre 2013.