Ce dimanche 12 avril 2015, l’AS Saint-Etienne reçoit le FC Nantes pour le compte de la 32e journée de Ligue 1. Après leur élimination en demi-finale de la Coupe de France mercredi contre le Paris-SG (1-4), les Verts ont désormais un seul objectif : une qualification pour une place européenne en 2015-16.
Le 9 octobre 1966, le champion de France nantais se déplaçait au stade Geoffroy-Guichard. Snella et Arribas, les co-entraîneurs d’une équipe de France se disputaient la première place de Division 1. Récit.

Le départ d’Henri Guérin du poste de sélectionneur de l’équipe de France et la démission de Jacques Georges le 3 septembre, avaient contraint la Fédération Française de Football à mettre en place une Commission de l’équipe de France comprenant entre autres, MM. Clerfeuille et Rocher, respectivement présidents de Nantes et de Saint-Etienne.
Jean Snella et José Arribas au chevet des Bleus
http://surlaroutedesverts.blogs.lequipe.fr/?p=1054
(blog mai 2014)

Le 5 octobre 1966, la Commission de l’équipe de France, chargée de trouver les meilleurs moyens de la diriger, décide de poursuivre l’aventure avec les hommes en place.

« Il ne nous feront pas de cadeaux »
En marge de la réorganisation de l’équipe de France, Jean Snella et José Arribas ne se quittent plus. A la différence que cette fois-ci, ils sont adversaires. En effet, le 9 octobre au stade Geoffroy-Guichard, Saint-Etienne reçoit le le champion de France en titre : le FC Nantes. Récent vainqueur de Reykjavik (5-2) en seizièmes de finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, l’actuel leader a bien préparé ce match au sommet. Arribas et ses joueurs savent qu’ils sont attendus. Pour eux, la partie s’annonce difficile comme le reconnaît Francis Magny, l’avant-centre du FC Nantes, auteur d’un doublé contre les Islandais : « Les Stéphanois voudront absolument gagner contre nous, car ils ont été mortifiés dimanche dernier contre Lyon. Ils retrouveront leur public, ce que constituera un atout non négligeable ; de plus, une nouvelle défaite les reléguerait à trois points… Pour toutes ces raisons, il ne nous feront pas de cadeaux. »

« Nous saurons si les ambitions étaient démesurées »
A Saint-Etienne, Snella veut effacer la désillusion du week-end précédent. Au stade de Gerland, les Verts se sont lourdement inclinés 3 à 0. Di Nallo, Rambert et consorts ont mis à mal la défense stéphanoise qui n’avait encaissé jusque-là que cinq buts en huit rencontres. Malgré ce revers, Snella ne souhaite rien remettre en question pour autant : « Je fais confiance à cette équipe pour recevoir Nantes. Par contre, j’ai tenu ce langage à mes joueurs : ce match contre Nantes est un tournant dans notre saison. Il est capital pour nous plus que pour les Nantais. Nous saurons si les ambitions qu’avait fait naître notre beau début de saison étaient démesurées, ou si elles étaient valables. A vous de le démontrer. »
Cette défaite dans le derby ne semble pas avoir affecté les supporters. Durant toute la semaine, un va-et-vient continuel au siège du club a fait penser que l’on s’apprêtait à battre des records d’affluence. Charles Paret, le secrétaire du club, avait même de bonnes raisons de penser que le précédent record, vieux de dix ans avec la venue du Stade de Reims, tomberait. Le 24 février 1957, 23 000 billets avaient alors été vendus avant l’ouverture des guichets.
En ce début octobre, la meilleure affluence pour un match de football au stade Geoffroy-Guichard est toujours détenue par le derby entre l’ASSE et l’OL. Le 16 février 1964, 33 526 spectateurs avaient franchi les barrières du stade.

Clerfeuille est confiant
A Nantes, tous les feux sont au… vert. Qualifiés en Coupe d’Europe, le leader de la Division 1 s’est défait de Valenciennes (3-1) lors de la dernière journée. Le président Clerfeuille aborde ce déplacement sans pression particulière : « Si nous avions été battus et que Saint-Etienne eût triomphé de Lyon, une seconde défaite, dimanche, aurait eu des conséquences catastrophiques : cinq points de retard. »

Pour ce déplacement, Arribas ne sait pas encore s’il pourra compter sur la présence de Robert Budzinski, touché à une hanche. Son forfait entraînerait naturellement la titularisation de Claude Robin au poste d’arrière central.
La révélation Henri Michel
Le 28 octobre, Henri Michel fêtera ses 19 ans. Et déjà, José Arribas place en lui de grands espoirs. Transfuge d’Aix-en-Provence, il semble être le digne successeur d’un certain Boukhalfa, Nantais de 1962 à 1965. Meilleur junior français aux tournois internationaux en Allemagne en 1965 et en Yougoslavie en mai 1966, ce futur grand joueur peut évoluer à plusieurs postes. Aussi bien à l’aise à l’aile droite qu’à gauche, son poste de prédilection se situe au milieu de terrain. Les Stéphanois sont prévenus.


Le discours de Jean Snella
Jean Snella prépare dans le calme ce match au sommet. Pour répondre présent et s’éviter un nouvel écueil, il sait que ses hommes devront être prêts psychologiquement. « Bien sûr qu’il n’y a pas de déshonneur à se faire battre par le Champion de France qui est aussi le leader actuel du Championnat, a-t-il dit à ses joueurs. Mais il y a beaucoup plus de gloire à glaner en obtenant sur lui la victoire. Vous nous avez démontré au cours des huit premiers matches que vous pouviez prétendre à la succession des Nantais au titre de champion. L’occasion vous sera belle de le démontrer. Sinon, il faudra reconnaître que vos adversaires sont les plus forts et travailler encore pour parvenir à les égaler. »

Snella et Revelli honorés
L’entraîneur des Verts reste persuadé que ses joueurs peuvent réaliser l’exploit. Comme il sait que l’attente est grande à Saint-Etienne. Si les onze titulaires contre Lyon devraient être reconduits, en revanche, il ne sait pas encore s’il pourra compter sur Hervé Revelli. Touché dans le derby, le meilleur buteur du club (8 buts) boitait bas à la fin du match. Le souci pour Snella, c’est que dès la fin de la rencontre, son joueur avait dû abandonner ses coéquipiers pour rejoindre le Bataillon de Joinville où il est incorporé. Son absence serait préjudiciable à son équipe bien sûr, mais également aux organisateurs de la remise de l’Oscar Byrhh.

Budzinski renonce
Robert Herbin, en délicatesse avec un genou récalcitrant, devrait bien tenir sa place, ce qui ne sera pas le cas de Robert Budzinski. souffrant d’une entorse à la hanche et déjà absent contre Reykjavik. Budzinski n’est pas le seul pensionnaire de l’infirmerie nantaise. A Saint-Etienne, Arribas devra composer sans son gardien titulaire Eon mais également sans Gondet et Prou, tous les deux opérés d’un genou et absents depuis de longues semaines. Enfin, Magny (problèmes d’adducteurs) semble apte pour le service.
Ce Saint-Etienne-Nantes sera, à coup sûr, l’évènement sportif le plus commenté du week-end. Tous les quotidiens nationaux ont dépêché un envoyé spécial qui prendra place dans la tribune suspendue au-dessus de celle des officiels. Aux diverses radios également présentes, Thierry Roland sera aux commentaires pour la télévision.

Au point de vue arithmétique, Nantes ne compte qu’une seule défaite et n’a inscrit que quatre buts à l’extérieur. Malgré cela, il possède une différence de buts de + 8. Saint-Etienne, son second, a inscrit 13 buts (dont 7 à domicile). Avec 13 buts marqués en 9 matches, les attaquants stéphanois n’est qu’en 6e position au classement de la meilleure attaque loin derrière Lens (22 buts).
Le duel entre les deux entraîneurs de l’équipe de France, la dizaine d’internationaux que comptent les deux formations peut donc commencer.

Grosse affluence à Geoffroy-Guichard
Ce dimanche 9 octobre, les 28 175 spectateurs présents au stade Geoffroy-Guichard ne vont pas regretter de s’être déplacés. Hervé Revelli, bien que grippé, est également présent.

D’entrée, les Stéphanois emballent la partie. Entre la 1ère et la 25e minute, tour à tour, Revelli, Mekloufi sur coup franc, Bosquier, N’Doumbé et Fefeu mettent à mal André Castel, l’étonnant gardien nantais. Ces derniers littéralement étouffés par le rythme frénétique des Stéphanois, s’en sortent tant bien que mal.

A la 20e minute, Herbin entend son genou droit craquer. Il glisse alors à l’aile droite et se contente d’un rôle de figurant. Invectivé par deux spectateurs assis sur des chaises au bord du terrain, Jean Snella se lève de son banc et s’explique sèchement avec les personnes concernées.


Deux minutes plus tard, l’excellent ailier « de métier » André Fefeu ouvre la marque pour les Verts. Il profite d’une incroyable mésentente entre le défenseur nantais Grabowski et Castel pour ouvrir le score (1-0, 22e).

Saint-Etienne domine, Nantes mène au score
Les Nantais, piqués au vif, se reprennent quelque peu. A la 27e minute, Simon envoie un missile dans les buts de Bernard et crée la panique dans la surface de réparation stéphanoise. Après un énorme cafouillage, le gardien international des Verts est tout heureux de voir le ballon s’éloigner de ses cages. Trois minutes seulement après cet énorme raté nantais, De Michèle tire un coup franc qui provoque un nouveau cafouillage devant le but de Bernard. Cette fois, Magny ne laisse pas passer l’aubaine pour égaliser (1-1, 30e).

Les Stéphanois accusent le coup et les Nantais en profitent pour aggraver la marque par Blanchet (1-2, 36e) dans des conditions similaires. En six minutes, la défense stéphanoise vient de craquer à deux reprises. Sa solidité est mise à rude épreuve.

Le coup de pouce de M. Carette
Après le repos, les vingt-deux acteurs tentent d’imprégner le même rythme mais accusent nettement le coup après la débauche d’énergie dépensée en première mi-temps. A la 60e minute, Mekloufi, le maître à jouer à des Verts, tente une reprise de volée qui touche involontairement la main de Grabowski. M. Carette, l’arbitre de la rencontre, désigne immédiatement le point de penalty. La sanction est contestée par les Canaris qui estiment que c’est le ballon qui a été à la main de l’infortuné Grabowski et non l’inverse. Bosquier ne se pose pas la question et remet les deux équipes à égalité (2-2, 60e).

Jacquet réussit le geste parfait
Ce coup du sort redonne un moral d’acier aux joueurs de Snella. La dernière demi-heure va ponctuer une rencontre magnifique. Ragaillardis, les Verts se lancent à l’assaut des buts de l’excellent Castel. A l’entame du dernier quart d’heure, Aimé Jacquet reçoit un centre millimétré de N’Doumbé. Le jeune Stéphanois, d’une reprise de volée parfaite, redonne l’avantage aux siens et fait lever comme un seul homme les 30 000 spectateurs présents (3-2, 75e). Le buteur est ovationné pendant de longues minutes.

Kovacevic à la conclusion
On s’achemine vers la fin du match. Saint-Etienne tient son exploit mais Nantes ne veut pas en rester là. Tour à tour, Grabowski, Le Chenadec et De Michèle prêtent main-forte à leurs attaquants. Sur l’une de leurs dernières contre-attaques, un long centre de Michel trouve Kovacevic, assez effacé jusque-là et pas encore adapté au football français. L’attaquant nantais, en position idéale, trompe Bernard de la tête et arrache le match nul somme toute mérité (3-3, 86e).

Quand M. Carette siffle la fin de cette rencontre, Stéphanois et Nantais ont la satisfaction du devoir accompli. A Saint-Etienne, les vingt-deux acteurs ont démontré, s’il en était besoin, que le football français avait encore de beaux jours devant lui.

A Saint-Etienne, le FC Nantes a franchi le premier quart du Championnat. A huit jours près (le 17 octobre 1965), les futurs champions de France avaient bouclé leur premier cycle de dix matches. Ils comptaient alors 18 points sur 20 possibles (8 victoires et 2 nuls). A la différence de la saison précédente, Nantes n’est pas seul en tête du classement puisque Lens le devance seulement au goal average. Le club du président Clerfeuille compte 14 points.
Saint-Etienne suit à un point (13) et reste à l’affût des deux leaders. A pareille époque, les Verts comptaient également 13 points mais n’occupaient que la 6e place. En revanche, ils avaient inscrits 25 buts contre 16 aujourd’hui. L’absence de Robert Herbin se fait durement sentir du côté de Geoffroy-Guichard.
