Samedi soir, l’AS Saint-Etienne accueille l’AC Ajaccio pour le compte de la 38e et dernière journée du championnat de Ligue 1. Après sa belle victoire à Nantes, en cas de victoire, les hommes de Christophe Galtier espèrent monter sur la troisième marche du podium. Mais ils ne sont pas les seuls maîtres de cérémonie.
En 1967, les Verts d’Albert Batteux n’avaient pas fait de sentiment en s’imposant 4-0, trois jours après leur élimination en Coupe des Clubs Champions contre le Benfica d’Eusébio. Ce jour-là, un joueur faisait ses grands débuts au stade Geoffroy-Guichard : Salif Keita. En 1999, les hommes de Robert Nouzaret reçoivent les Corses. S’ils ne peuvent faire mieux qu’un match nul (2-2), ils retrouvent la Division 1. Enfin, tous les taxis mènent à Geoffroy-Guichard. Salif Keita et Adrien Ponsard ne diront pas le contraire… Bonne lecture.
Intouchables
Dimanche 3 décembre 1967. Saint-Etienne-Ajaccio : 4-0.
Trois jours après sa courte victoire contre Benfica (1-0), insuffisante pour la qualification en Coupe des Clubs Champions, les Verts reçoivent l’AC Ajaccio en championnat.
En quittant le stade le vendredi matin, Albert Batteux fait la moue. Le match musclé contre les Portugais a laissé des traces. En effet, pas moins de six de ses joueurs sont blessés. Le docteur Nicolas et le soigneur Minasso s’évertuent donc à soigner les éclopés, à savoir N’Doumbé, Bereta, Bosquier, Mitoraj, Jacquet et Revelli. Batteux ne peut également oublier que Herbin est toujours blessé. Seul rayon de soleil dans ce paysage obscurci pour l’entraîneur stéphanois, la naissance de sa petite fille. Il est grand-père pour la première fois.

C’est donc une équipe très éprouvée qui affronte l’AC Ajaccio. Les joueurs Corses, de leur côté, sont à Saint-Etienne depuis le jeudi. Ils ont profité de ce séjour pour assister au match contre Benfica. Albert Muro, l’entraîneur ajaccien, et ses hommes en ont aussi profité pour superviser leurs adversaires du week-end.

Des absences compensées
9 002 spectateurs ont fait le déplacement, malgré le froid, pour voir les Verts disputer leur troisième match en sept jours. Après Metz (4-0) et Benfica (1-0), quel sort allaient-ils réserver à Ajaccio ? Bien qu’handicapée par l’absence d’un tiers de son équipe (Herbin, Jacquet, Fefeu et Revelli), l’équipe stéphanoise joue d’entrée de jeu avec détermination. Les rares velléités ajacciennes sont contenues sans grande difficulté par le duo Bosquier-Durkovic.
La jeunesse au pouvoir
Au milieu, deux jeunes joueurs se font remarquer : Jean-Michel Larqué et Francis Camerini. Seulement âgés de 20 ans, les deux complices de l’équipe de France Juniors alimentent en bons ballons leurs attaquants dont un certain Salif Keita. Le Malien effectue contre Ajaccio ses grands débuts à Geoffroy-Guichard. Rapide et doté d’une technique hors pair, il fait souffrir ses adversaires.

Dès la 25e minute, sur un centre millimétré de Bereta, Mitoraj ouvre le score de près (1-0, 25e). Les tentatives de Larqué et N’Doumbé font passer quelques frayeurs aux Ajacciens. Après la pause, Keita continue son festival. Après une série de dribbles qui laissent deux défenseurs corses sur place, il embarque Baratelli et loge la balle au fond des filets (2-0, 54e). Quatre minutes plus tard, c’est au tour de Larqué, d’un tir canon, d’envoyer Baratelli chercher le ballon au fond des filets (3-0, 58e).
Mekloufi dans un jour « sans »
Si Mekloufi, le capitaine des Verts, se montre particulièrement maladroit dans la finition, Bereta, ne se fait pas prier pour dribbler à son tour trois défenseurs ajacciens et y aller de son petit but (4-0, 75e). Après une telle démonstration de puissance et d’efficacité, les champions de France s’installent confortablement en tête du championnat. Comme à son retour de Lisbonne deux semaines plus tôt, les Verts se sont imposés aisément sans trembler.

Keita réussit ses débuts à « G.G. »
Cette rencontre a surtout montré que l’ASSE possède un réservoir de jeunes performants et de qualité. N’Doumbé pour son second match de la saison n’a pas déçu. Jean-Michel Larqué a fait apprécier sa belle technique et sa vision du jeu a fait merveille. Quant à Francis Camérini, incorporé au Bataillon de Joinville, il jouait son premier match avec les Verts cette saison. L’ex-transfuge du Cavigal de Nice (comme Herbin) semble avoir atteint la maturité. Enfin, le jeune malien Salif Keita, pour ses grands débuts en match officiel à Geoffroy-Guichard, a séduit. Deux mois après avoir foulé pour la première fois la pelouse du stade en lever de rideau. Ses dribbles dévastateurs et son but annoncent des jours heureux.
Buts.- Mitoraj (25e), Keita (54e), Larqué (58e), Bereta (74e).
Saint-Etienne : Carnus – Durkovic, Mitoraj, Bosquier, Polny – Larqué, Camerini – N’Doumbé, Keita, Mekloufi, Bereta. Entr.: Batteux.
Ajaccio : Baratelli – Vanucci, Brucato, Devaux, Moise – Risso, Girod – Munoz, Sansonetti, Marcialis, Touré. Entr.: Muro.
Un taxi pour Geoffroy-Guichard
Après sa prestation de grande classe contre Ajaccio, Jean-Paul Oudot, l’envoyé spécial dans le journal L’Equipe, retrace, dès le mardi 5 décembre, l’arrivée de Salif Keita à Saint-Etienne.

Vidéo INA : Albert Batteux évoque l’arrivée de Salif Keita à Saint-Etienne. Il loue aussi ses grandes qualités.
Nuit d’ivresse
1er mai 1999. Saint-Etienne-Ajaccio : 2-2.
Le 24 avril, Saint-Etienne quitte le stade Francis Le Basser avec un sentiment de frustration. Malgré leur match nul (1-1) à Laval, les hommes de Robert Nouzaret ne peuvent encore officialiser leur accession parmi l’élite. Lille vient en effet de s’imposer à Ajaccio (2-0). Bien qu’ils possèdent onze points d’avance sur les Nordistes ( 4e), les Verts ne sont pas encore assurés du sacre. Il faut donc attendre une semaine supplémentaire.
Objectif remontée
Pour la fête du muguet, l’équipe entraînée par Robert Nouzaret accueille… l’AC Ajaccio. Dans L’Equipe du 25 avril, l’entraîneur stéphanois a prévenu : « Plus le droit de décevoir« . Un petit point suffira aux Stéphanois pour retrouver sa place parmi l’élite. Le président Bompard surenchérit : « Il nous manque mathématiquement un point, cela nous autorise donc à un nul en quatre matches. Si on ne marque pas ce point, on ne mérite pas de monter en D1, mais on va le marquer. »

Pour préparer la venue des Corses à Geoffroy-Guichard, Nouzaret a même programmé un match amical contre Dijon en Côte d’Or le mardi soir. Une rencontre finalement annulée pour éviter toute pression inutile. La dernière victoire à domicile remonte au 20 mars contre Lille (3-2). Depuis, Nice est venu s’imposer dans le Chaudron (2-0), ce qui a quelque peu refroidi les ardeurs. Ajaccio, de son côté, reste sur trois revers à l’extérieur. En début de semaine, l’attroupement devant les guichets du stade laisse présager que le match se jouera à guichets fermés.

Côté stéphanois, Nestor Subiat (7 buts), claqué à Laval, manque à l’appel. C’est Samba N’Diaye (arrivé de Nantes au Mercato d’hiver) qui est appelé à le suppléer pour former le duo d’attaque avec Patrick Revelles (actuel meilleur du club avec 12 buts).

L’ambiance des grands soirs
Ce 1er mai 1999, le stade Geoffroy-Guichard est plein à craquer pour célébrer ses héros. 35 350 supporters sont prêts à s’enflammer pour le moindre exploit, la moindre envolée des siens. Les drapeaux s’entremêlent, les chants résonnent comme aux plus beaux jours. Tous espèrent la consécration. C’est sûr, cette fois, les petits hommes Verts ne peuvent gâcher la fête. Sarr s’y emploie dès la 6e minute. Sur un corner de Revelles, il place sa tête hors de portée de Klein, le portier ajaccien (1-0, 6e).

A la 25e minute, Faderne égalise suite à une belle glissade de Janot (1-1, 25e). Malgré des tentatives de Sablé, Ferhaoui ou N’diaye, les Verts ne parviennent pas à « corser » l’addition avant la pause. Les supporters, durant ce quart d’heure de pause, peuvent découvrir « La marche verte« , un nouvel hymne à la gloire de leurs protégés, entonné par deux chanteurs locaux.

Au retour des vestiaires, les Verts veulent offrir la victoire à leurs supporters, pour les remercier d’avoir toujours été là dans les moments difficiles depuis trois ans. Ils ont souffert avec leurs joueurs sans pour autant les abandonner.

Revelles envoie les Verts au paradis
Il faut attendre la 84e minute : Revelles, accroché par Maroselli, obtient un penalty. Il se fait lui-même justice et délivre le « peuple vert » (2-1e, 84e). Ce n’est pas l’égalisation de Prso (2-2, 89e) qui change le cours de l’histoire. Certes, les Verts n’ont pas gagné, mais qu’importe. Ils obtiennent l’essentiel : leur billet pour la Division 1.

A trois journées de la fin, ils ne peuvent plus être rejoints par Lille, battu à domicile par Amiens (1-0). L’AS Saint-Etienne connaît donc sa troisième remontée en Division 1 de son histoire après celles de 1963 et 1986.

Au coup de sifflet final, c’est la délivrance. Les supporters envahissent la pelouse, s’embrassent, communient avec leurs joueurs. Une trentaine de personnes finissent même aux urgences du CHU de Saint-Etienne pour avoir escaladé les grillages posés pour la Coupe du monde un an plus tôt.

Jusqu’au bout de la nuit
Les Magic Fans, habitués de la tribune Nord, ne s’y étaient pas trompés, eux qui avaient déployé avant le match une banderole sur laquelle on pouvait lire : « La légende est de retour« . Pour les joueurs, le staff et de nombreux supporters, la nuit est courte : dîner et Karaoké lancent les festivités. Un peu plus tard dans la nuit, les joueurs arrosent la montée dans un établissement nocturne de la ville.

Les réactions se succèdent
Les réactions sont nombreuses dans le monde français du football. A commencer par les ex-Verts. Dominique Rocheteau : « Cette saison, j’ai vu les Verts une fois à Geoffroy-Guichard, c’était contre le Red Star. C’était fabuleux. J’ai retrouvé l’ambiance stéphanoise. ». Pour Dominique Bathenay : « Cela fait plaisir à la France entière (…) Je suis content pour tous ceux qui ont fait des efforts depuis deux ans. »

Michel Platini : « C’est bien pour Saint-Etienne, pour les Stéphanois, pour la région. Là-bas, le foot est une vraie tradition. » Pour Daniel Leclercq, l’entraîneur de Lens : « Saint-Etienne, c’est un stade et une passion qui méritent la D1. ». Enfin, pour Bernard Bosquier : « Je suis très heureux pour cette ville car elle manquait au foot français. »

De Kader à Adrien
Le trio Bompard-Soler-Nouzaret a donc réussi son pari : l’alchimie entre les trentenaires (Captain Ferhaoui en tête, Leclerc, Fichaux, Robert ou encore Subiat) et les « enfants du pays » tels Adrien Ponsard (natif de Firminy) débarqué du Puy alors en Division d’Honneur, Bertrand Fayolle, chauffagiste de son métier quelques temps avant, arrivé de l’Etrat, également pensionnaire de DH, sans oublier l’infatigable international Juniors Julien Sablé et le besogneux Patrick Guillou, idolâtré par Geoffroy-Guichard. Après avoir connu la relégation en 1996, frôlé le dépôt de bilan et la descente en National, ce 1er mai, c’est toute une ville qui a retrouvé sa fierté.
Buts.- Saint-Etienne : Sarr (6e), Revelles (84e, s.p.) ; AC Ajaccio : Faderne (25e), Prso (89e).
Saint-Etienne : Janot – Guillou (Zanotti, 75e), Leclerc, Mettomo, Potillon – Ferhaoui (cap.), Sablé, Fichaux, Sarr – Revelles, N’Diaye (Ponsard, 69e). Entr. : Nouzaret.
Ajaccio : Klein – Toursel, Burle (cap.) (Bibi, 19e), Maroselli, Colling, Féron – Petit, De Luca (Prso, 56e), Bonnal, Granon – Faderne. Entr.: B. Gentili.
Un taxi pour Geoffroy-Guichard (2)
A l’instar de Salif Keita, l’histoire d’Adrien Ponsard est peu banale. Encore joueur de l’USF Le Puy en 1998, le jeune attaquant de l’AS Saint-Etienne passe de la Division d’Honneur à la Division 2 en moins d’un mois. Le meilleur buteur du dernier championnat d’Auvergne (30 buts lors de sa dernière saison en Haute-Loire) profite d’un concours de circonstances incroyable.

Après un stage d’avant-saison à Albertville, les hommes de Robert Nouzaret peaufinent leur préparation au Puy-en-Velay. Adrien Ponsard sert de chauffeur aux joueurs stéphanois. Tous les matins, il les emmène de leur hôtel au centre d’entraînement et vice-versa. Durant ce séjour, Robert Nouzaret, en guise de remerciements, accepte de disputer un match amical contre l’équipe locale au stade Massot. Adrien Ponsard se fait alors remarquer en inscrivant un but à Jérôme Alonzo. L’attaquant Nestor Subiat étant indisponible suite à claquage à une cuisse contre Valence, les dirigeants foréziens, sur les conseils de Maurice Bouquet et Alain Blachon, alors entraîneurs du Puy et ancien milieu des Verts, proposent un contrat pro d’un an à « Titi » Ponsard. Une telle aubaine ne se refuse pas.

A 23 ans, il fait ses grands débuts avec l’ASSE le 22 août 1998 contre Guingamp (0-0) à Geoffroy-Guichard en remplacement de Fabrice Lepaul à l’heure de jeu. Mais c’est au stade de l’Aube contre Troyes, une semaine plus tard, qu’il inscrit son premier but en professionnel (1-1). Au fil des matches, il devient la coqueluche du public stéphanois. A la boutique des Verts, les maillots floqués « Ponsard » s’arrachent comme des petits pains. Assurément, Saint-Etienne a déniché un oiseau rare.
Courts métrages
Le prix du danger
Le 6 août 1969, Saint-Etienne accueille Ajaccio en championnat. A la mi-temps, les Verts mènent 2-0 grâce à des buts signés Hervé Revelli (10e) et Samardzic (15e). En seconde mi-temps, M. Poncin, l’arbitre du match, interrompt une première fois la rencontre. Hervé Revelli, blessé dans un choc avec un défenseur ajaccien, est évacué hors du terrain.
Quelques minutes plus tard, Bernard Bosquier, le défenseur stéphanois, envoie un boulet de canon hors de portée de Dominique Baratelli, le gardien corse. Pourtant, l’homme en noir refuse le but de « Bobosse ». En effet, en même temps qu’il armait sa frappe, M. Poncin siffle. Stupéfaction dans les tribunes. une bouteille en verre, en provenance des tribunes atterrit sur la pelouse. Malgré ce contre-temps, les Verts, grâce à un nouveau but de Bereta (87e) s’imposent 3-1.
A la fin du match, Charles Paret, le secrétaire du club stéphanois, explique : « Voilà une bouteille qui nous coûte cher. Elle nous prive d’un but et nous vaudra une amende de 500 F. » C’est le tarif… Et s’il y a récidive, l’amende sera portée à 2 000 F. »

The artist
Le 3 décembre 1967, Salif Keita réchauffe les spectateurs du stade Geoffroy-Guichard en produisant un véritable récital pour son premier match devant son public. Les Verts s’imposent 4-0 avec un but du grand Salif.
Le 19 juin 1971, le Malien se transforme cette fois en magicien. Saint-Etienne est à la lutte avec l’OM pour le titre de champion de France à une journée de la fin. Josip Skoblar et Salif Keita se tirent la bourre pour l’obtention du titre de meilleur buteur de Division 1.

Pour leurs adieux à domicile, les Stéphanois accueillent les Ajacciens. Keita, rejoint le Marseillais en tête du classement en inscrivant quatre buts. Bien aidé par ses coéquipiers, il réalise une véritable performance. Avant le dernier round, Keita et Skoblar sont à égalité avec 41 buts chacun. Le record de Gondet qui était de 36 buts (1966), tombe. L’écart entre les deux premiers et le troisième n’a jamais été aussi grand (16 buts). Après sa performance, Keita reçoit nombre de lettres en provenance d’Afrique où l’on peut lire sur les enveloppes : « Salif Keita, le dieu Saint-Etienne« .

Au terme de ce championnat 1970-71, Marseille remporte le championnat et Skoblar termine meilleur buteur avec 44 buts devant… Salif Keita (42). Après 22 journées, le Yougoslave de Marseille avait pris une avance confortable de 7 buts (25 contre 18). Mais le Malien de Saint-Etienne revient dans son sillage en inscrivant le 24 mars 4 buts contre les Corses de… Bastia. C’est donc la dernière journée qui les a départagés.
Le 3 juillet 1971, Salif Keita reçoit le premier Ballon d’Or africain décerné par FranceFootball.
Vidéo INA : La remise du Ballon d’Or à Salif Keita. http://youtu.be/e2Nyj0kjtXY
Th. Clemenceau
