Ce dimanche 29 mars 2015, l’équipe de France dirigée par Didier Deschamps rencontre le Danemark au stade Geoffroy-Guichard. En 1965 déjà, une équipe nationale, l’URSS du grand Lev Yachine, avait disputé un match à Saint-Etienne. Ce soir-là, le Chaudron brillait de mille feux. Récit.

Ce vendredi 22 octobre 1965, à 19 heures, à l’instar du match en nocturne qui oppose l’équipe d’U.R.S.S à celle de Saint-Etienne, M. Roger Rocher, président de l’A.S.S.E, en présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles M. Durafour, sénateur-maire de Saint-Etienne et de plus de 20 000 spectateurs, s’apprête à inaugurer un nouvel équipement du stade Geoffroy Guichard et non des moindres puisqu’il s’agit du nouvel éclairage. Rocher commande alors le bouton qui illumine le terrain de ces 600 lux. La réalisation de ces nouvelles infrastructures a constitué une véritable aventure commencée quelques mois auparavant.
En avril 1964, lors de son assemblée générale, la Ligue Nationale de Football a décidé de modifier l’organisation du Championnat de France professionnel pour la saison 1965-1966. Un des points majeurs concerne l’obligation pour les clubs de 1ère division de pouvoir disputer sur leurs terrains un certain nombre de rencontres en nocturne. Or, à cette époque, tout comme Rennes, Saint-Étienne ne dispose d’aucun stade permettant le déroulement de tels matches.
Fort de ce constat, le 10 mai 1965, l’administration municipale, nouveau propriétaire du stade Geoffroy Guichard, décide de pourvoir le stade d’un nouvel éclairage et ce dans un délai très bref puisqu’il est fixé au 22 octobre, date de la rencontre entre l’équipe d’U.R.S.S et l’équipe de Saint-Etienne. Dans sa séance du 17 mai 1965, le conseil municipal de Saint-Etienne décide que les travaux d’éclairage du stade en nocturne seront adjugés par voie de concours et dégage les crédits nécessaires pour leur réalisation. Les travaux prévus comprennent le poste de transformation et de livraison, génie civil et équipement, les pylônes, les projecteurs, les raccordements électriques, le tableau de commande, l’éclairage des abords, des tribunes, des annexes et de l’éclairage de secours. Le délai d’exécution ne peut excéder trois mois avec une mise en service des installations fixée au 10 octobre.

La commission du jury du concours, composée des membres de l’administration municipale, de l’A.S.S.E (dont M. Rocher), des Ponts et Chaussées, d’E.D.F et des services techniques ont reçu les propositions de 17 installateurs représentant une quarantaine de projets allant de 405 000 à 920 000 francs. La variété et le nombre de projets déposés montrent l’intérêt que portent les spécialistes de ce domaine pour l’éclairage des grands espaces en y apportant leurs propres solutions. Une proposition a néanmoins attiré l’attention du jury : un seul projet préconise un éclairage de l’ordre de 550 lux au lieu des 250 souhaités par la Fédération Internationale de Football tout en respectant l’enveloppe budgétaire impartie. Ce projet de 550 lux a incité le jury à laisser aux entreprises un délai de huit jours supplémentaires pour revoir leurs copies.
Durant cette période, afin de mieux percevoir les impacts d’un tel éclairage, une délégation s’est rendue dans les stades les plus modernes d’Allemagne, de Suisse et d’Italie. Au final, dans sa séance du 23 juin 1965, le jury a décidé de ne prendre en compte que les propositions comportant un éclairement de 550 lux au sol à l’horizontal et d’attribuer finalement le marché aux entreprises Minjard de Saint-Etienne et Richard A. Ott de Wiesbaden. Ce choix a été validé par le conseil municipal de Saint-Etienne du 19 juillet 1965.

Le coût des travaux est fixée à 650 000 francs et répartie de la façon suivante :
– 150 000 francs pour la fourniture et la pose des pylônes,
– 175 000 francs pour la fourniture et la mise en place des projecteurs,
– 260 000 francs pour les équipements électriques,
– 65 000 francs pour le poste de transformation.
Cette dépense a été financée par la vente d’une installation sportive municipale désaffectée.
Un contre-la-montre s’amorce alors. Dès le 25 août, les fondations béton des quatre pylônes sont coulées avec leurs soubassements métalliques. Le 15 septembre, les premiers éléments métalliques des pylônes sont disposés sur le chantier ainsi que les appareillages de commande, distribution et contrôle des installations. Le 1er octobre, pas moins de quatre équipes de monteurs s’attellent à l’édification des pylônes terminés pour le 12 octobre. A compter de ce jour, la mise en place des batteries de projecteurs, le tirage des câbles en aérien, les connexions et raccordements ainsi que les essais d’éclairage et le calage des projecteurs sont donc rendus possibles.
Le challenge a été relevé et honoré. La qualité de ces installations est sans appel : la hauteur de 60 mètres des pylônes supprime l’éblouissement tant pour les joueurs que pour les spectateurs et le mixage des lampes donne un rendu des couleurs parfait. Grâce à ces travaux, Saint-Etienne vient de se doter d’installations parmi les plus modernes d’Europe et cette réalisation est accueillie très favorablement par l’ensemble de la presse sportive.
L’URSS de Yachine en pleine lumière
Une équipe nationale au stade Geoffroy-Guichard. L’évènement est inédit pour que l’on s’y attarde.

Après sa victoire au Danemark (3-1) synonyme de qualification pour la Coupe du monde en Angleterre, l’équipe soviétique n’a pas regagné son pays et fait une première escale à Paris. A son programme : deux matches amicaux. Le premier contre le Stade Français au Parc des Princes le mercredi 20 octobre et le second deux jours plus tard au stade Geoffroy-Guichard contre l’ASSE.

Snella refuse de prêter Herbin et Mekloufi
Les dirigeants stadistes, pour bien figurer face aux Russes, ont demandé à leurs homologues stéphanois le prêt de deux de leurs joueurs et non des moindres : Robert Herbin et Rachid Mekloufi. En contrepartie, Philippe Pottier renforcerait l’ASSE contre ces mêmes Russes deux jours plus tard. L’idée a fait son chemin sans pour autant y voir son aboutissement. Face aux échéances importantes qui attendent l’ASSE, Jean Snella a préféré décliner l’échange de bons procédés formulés par les dirigeants stadistes.

Pour disputer leurs deux rencontres, les Soviétiques se sont déplacés en France avec dix-huit joueurs. Au Parc des Princes comme au stade Geoffroy-Guichard, Lev Yachine, légèrement blessé à Copenhague, ne disputera qu’une mi-temps.
A Paris, devant 8 332 spectateurs, les coéquipiers de Voronine s’imposent 2 à 1 face à l’équipe du Stade Français dans laquelle évoluent Georges Carnus et André Fefeu.

Après ce premier test, le jeudi après-midi, la délégation russe poursuit sa route qui la mène dans la Loire. Alors que se profile un match important entre Saint-Etienne et Lille le dimanche après-midi en Championnat, la population stéphanoise ne parle que de la venue des Soviétiques.
VIDEO INA :
Le 21 octobre 1956,
Lev Yachine et l’URSS s’inclinait face à l’équipe de France en amical (2-1).
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Une grande première à Saint-Etienne
Il faut bien dire que l’évènement revêt un caractère exceptionnel : pour la première fois de son histoire, l’AS Saint-Etienne affronte une équipe nationale au stade Geoffroy-Guichard.
Pour cette rencontre de prestige, Jean Snella, l’entraîneur stéphanois, doit composer avec un forfait de dernière minute : Pierre Bernard. Le gardien international des Verts, frappé par un deuil familial, a déjà repris la route pour Castres. Son remplaçant, Robert Philippe, est blessé alors que le jeune amateur Martin, bien que talentueux, est jugé un peu tendre pour une rencontre de cette envergure.

Aubour pressenti, Varini titulaire
C’est donc dans l’urgence que les dirigeants stéphanois se réunissent pour étudier la meilleure solution possible. Ils décident à l’unanimité de demander à leur voisin de l’Olympique Lyonnais le prêt pour quelques heures de Marcel Aubour. Finalement, le poste de numéro 1 reviendra à Daniel Varini, prêté par le Racing.

Si cette rencontre suscite un engouement exceptionnel dans la région, c’est aussi parce que le stade Geoffroy-Guichard s’apprête à vivre un évènement. Pour la première fois de son histoire, l’enceinte stéphanoise accueille un match en nocturne.
L’éclairage le plus performant d’Europe
Les demandes de places affluent de toutes parts : de Lyon comme de Clermont-Ferrand. Plusieurs délégations de clubs comme celui du Stade Rennais ont annoncé leur venue pour venir constater et s’inspirer de l’éclairage nouvellement installé. Seuls ceux de Hambourg et du Real Madrid, selon l’avis de techniciens, seront aussi performants en Europe. A titre de comparaison, le Parc des Princes n’apporte une luminosité que de 200 lux alors que celui du stade Geoffroy-Guichard en portera environ 500.
La victoire étriquée pour ne pas dire décevante des Soviétiques à Paris n’a nullement refroidie l’enthousiasme du côté de Saint-Etienne. Le télégramme assurant la présence de l’immense Lev Yachine contribue nettement à ce succès populaire.
Deux nouveaux dans le « grand bain »
Hormis le remplacement de Pierre Bernard, Jean Snella a renoncé à renforcer son équipe. Le technicien stéphanois a même décidé de lancer dans le grand bain deux jeunes joueurs. Formés au Cavigal de Nice, comme un certain Robert Herbin, Francis Camérini et Mercati figurent dans le groupe.

Et la lumière fut…
Ce vendredi 22 octobre, le stade Geoffroy-Guichard brille de mille feux. Les 15 000 à 20 000 spectateurs pour ne pas dire supporters stéphanois sont prêts à assister à la première rencontre nocturne à domicile. Le célèbre gardien Yachine est bien présent, conformément au télégramme qu’avaient reçu les dirigeants stéphanois.
Avant la rencontre, M. Durafour, le sénateur-maire de la ville, suivi de M. Rocher, président de l’ASSE, prononcent une brève allocution en forme inaugurale. Rien n’est laissé au hasard. Hormis une invitée de dernière minute : une brume « londonienne » traverse le stade d’un but à l’autre. La visibilité réduite n’empêche pas M. Barberan, l’homme en noir, de donner le coup d’envoi de la rencontre.
Les Russes assurent
La première mi-temps voit les Stéphanois faire jeu égal avec la sélection russe. Pourtant, à la pause, le score est déjà lourd pour les hommes de Jean Snella. Après un quart d’heure de jeu, le redoutable avant-centre Banichevski fait parler son talent. Ce leader d’attaque, gros travailleur et doté d’une belle frappe de balle, réussit une succession de dribbles pour tromper Varini, l’appelé de la dernière heure (0-1, 16e).

Dix minutes, plus tard, M. Barberan accorde généreusement un coup franc à Voronine. Ce dernier l’exécute et Khousaïnov transperce le « fog » et les filets de l’infortuné Varini (0-2, 26e).
Côté stéphanois, Herbin a une occasion en or de briller. A la suite d’un centre en retrait de Salen, le capitaine tricolore effectue une magnifique reprise de volée. Malgré un modèle de précision, ce geste technique quasi parfait rencontre sur sa trajectoire toute la classe du talentueux Yachine. Le jour de ses 36 ans, le gardien russe vient de démontrer au public stéphanois qu’il n’est pas le meilleur gardien du monde par hasard.

Richard Tylinski contre son camp
Après la pause, le calvaire continue pour les Verts. Banichevski inscrit un doublé (0-3, 63e) alors que Richard Tylinski, en voulant rattraper une erreur de son jeune coéquipier Camérini, trompe son propre gardien (0-4, 73e). Le score est trompeur, et comme à Paris, les joueurs de l’Est n’offrent pas le spectacle que les 15 à 20 000 fidèles du stade Geoffroy-Guichard sont en droit d’attendre. Seuls Yachine et Khousaïnov se montrent à la hauteur de l’évènement. Même en-deça, cela leur suffit à dominer une équipe stéphanoise qui est loin de sa forme optimale. Varini, est tout heureux de voir deux tirs signés Meski et Metrevelli renvoyés par ses poteaux.
A dix minutes de la fin, Osianine jaillit de la lumière lui aussi pour inscrire d’un tir canon le cinquième et dernier but de la soirée (0-5, 81e).
Avant cette rencontre de gala, Jean Snella, avait déclaré : « Ah ! oui, nous jouons contre Lille dimanche. Je n’ai pas encore eu le temps de songer à la formation que je vais aligner. D’ailleurs, je ne peux rien faire avant que soit joué ce match contre l’URSS. » La note positive de la soirée pour l’entraîneur stéphanois, ce sont les débuts réussis de son jeune poulain Camérini. Comme en 1957, Saint-Etienne s’oriente de nouveau vers une politique de jeunes. Après Aimé Jacquet et Hervé Revelli, Francis Camérini et Jean-Michel Larqué semblent prêts à leur emboîter le pas.
Avant de s’envoler pour Cardiff et poursuivre leur périple, le samedi après-midi, la délégation russe a fait une nouvelle escale à Paris. Le temps pour Yachine et Voronine de recevoir chacun une distinction.

Thierry CLEMENCEAU