Claude Abbes : le « héros malheureux » de Wembley (2/4)

Après « Claude Abbes, le héros du Heysel« , je vous propose aujourd’hui le deuxième volet consacré au gardien stéphanois des Bleus. Trois joueurs stéphanois ont été sélectionnés pour affronter l’Angleterre à Londres. Claude Abbes connaît la mésaventure d’une blessure qui l’éloignera des terrains deux longs mois. Bonne lecture.

Ce dimanche 17 novembre 1957, les sélectionneurs sont sur le pont. En effet, dix jours plus tard, se profile le match amical à Wembley entre l’Angleterre et l’équipe de France. Paul Nicolas est au stade Vélodrome pour superviser Marseille-Nice, Alex Thépot et Gaston Barreau suivent RC Paris-Lens au Parc des Princes, Albert Batteux assiste à Nîmes pour jauger la forme des joueurs rémois qui sont opposés aux Nîmois.

Pibarot supervise Stéphanois et Monégasques

Enfin, Pierre Pibarot a fait le déplacement sur la côte d’Azur pour assister à Monaco-Saint-Etienne. Plusieurs Stéphanois sont dans l’oeil des sélectionneurs : Claude Abbes, le héros du Heysel (voir le dernier post) mais aussi Richard Tylinski, René Domingo, René Ferrier et Rachid Mekloufi.
Au terme d’un match sans but, Pibarot n’a pas été convaincu par les attaquants bien trop timides à son goût. En revanche, les défenseurs ont capté son attention.

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Jean Snella avec ses internationaux : R. Tylinski, Domingo et Abbes (photo L’Equipe).

Le 19 novembre, à l’annonce de la sélection, sur les « cinq possibles« , l’ASSE compte trois joueurs appelés. Le premier n’est pas une surprise : à 30 ans, Claude Abbes, depuis le Heysel, a gagné ses galons d’international.

Première cape pour René Domingo et Tylinski

Le second, René Domingo (en remplacement de Penverne) joue demi droit et constitue la petite surprise… sauf pour Jean Snella. L’entraîneur stéphanois considère en effet que Domingo, sur les cinq championnats écoulés, est son meilleur élément. Ses coéquipiers n’en pensent pas moins, eux qui ne cessaient de lui répéter qu’il aurait sa chance un jour ! A près de 29 ans, son rêve devient réalité : revêtir au moins une fois le maillot de l’équipe de France. Ce n’est donc plus qu’une question de jours.

La Combelle à l’honneur

Enfin, Robert Jonquet, hors de forme, c’est le tout jeune Richard Tylinski, 20 ans, évoluant au poste d’arrière central, qui lui succède. Depuis peu, il a été incorporé « deuxième classe » sous les drapeaux. Dans l’euphorie de l’annonce de sa sélection, il prend soin d’emmener dans sa valise une boîte de chocolats qu’il espère offrir au footballeur anglais Jefrey. En effet, un an plus tôt, les Espoirs anglais et français s’affrontaient à Bristol et le joueur anglais s’était blessé lors d’un choc avec le Français. Le cadet des Tylinski n’a pas oublié.
Les deux « bleus« , formés à La Combelle, accompagneront donc leur gardien, auteur d’une grosse prestation à Bruxelles le mois précédent.

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Claude Abbes (au centre) pose avec les deux nouveaux Bleus : René Domingo (à g.) et Richard Tylinski (à d.)

Richard Tylinski n’a pas de passeport

La délégation française prend place à bord d’un Viscount d’Air France le 25 novembre et décolle à 15 heures de l’aéroport d’Orly. Mais ce voyage Paris-Londres a failli se dérouler sans Albert Batteux et Richard Tylinski. En effet, l’entraîneur des Bleus, lors du trajet en voiture de Reims à Paris avec Piantoni et Vincent, s’aperçoit qu’il n’avait pas son passeport.
A la Fédération, quelques heures plus tard, c’est au tour de Richard Tylinski de découvrir avec stupéfaction qu’il n’avait pas le précieux sésame. Si Batteux a pu récupérer le sien grâce à son épouse qui a fait un aller-retour express de la Champagne à Paris, en revanche, Tylinski a voyagé sans son papier d’identité.

« Battu 3-0 ! « 

A Londres, Claude Abbes, en récupérant sa valise, a la surprise de voir inscrit au crayon bleu sur cette dernière : « Battu 3-0 ! » Le ton est donné.

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Promenade devant Buckingham Palace pour Domingo, R. Tylinski, Bollini et Abbes.

Les Bleus au cœur de Londres

La délégation française est logée au coeur de la capitale au St.-Ermins Hôtel, tout près du Parlement et de l’Abbaye de Westminster et à deux pas de Big Ben.
Le lendemain, Albert Batteux, l’entraîneur national, dirige l’entraînement à Priory Lane, à Roehampton sur un terrain appartenant à l’Association Sportive de la Banque d’Angleterre.

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R. Tylinski, Bollini, Abbes et Domingo dans le « tube » à Piccadilly Circus Station.

M. Fontanilles (ASSE) présent  à Wembley

En 51 ans et 23 matches disputés entre les deux nations, l’Angleterre s’est imposée 17 fois contre 4 à la France. Les Anglais ont inscrit la bagatelle de 107 buts contre 26 aux Tricolores : ce grand écart entre les deux nations  explique que ce match suscite peu d’engouement à Londres. Plusieurs dirigeants de clubs français ont fait le déplacement parmi lesquels M. Fontanilles, de Saint-Etienne.

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L’équipe de France pendant les hymnes : de g. à d. : Piantoni, Ujlaki, Wisnieski, Vincent, Bollini, Domingo, Douis, Tylinski, Zitouni, Kaelbel, Abbes

Roger Rivière parie sur une victoire des Bleus

Cette rencontre compte une dimension supplémentaire. Après des tractations entre la R.T.F., la B.B.C. et la Fédération anglaise, elle est retransmise intégralement en France.

Sondé la veille du match, Roger Rivière, le coureur cycliste de Saint-Etienne avait déclaré : « Trois Stéphanois dans l’équipe de France, c’est un record, n’est-ce pas ? Donc la France gagnera : Angleterre 2 France 3. »

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Programme du match Angleterre-France du 27 novembre 1957 au stade de Wembley. (collection personnelle de Philippe Gastal, conservateur du Musée des Verts)

Malheureusement pour les Bleus, la réalité est tout autre. Comme à Bruxelles, Claude Abbes doit enfiler le bleu de chauffe pour contenir tant bien que mal les assauts des attaquants adverses, notamment du petit ailier droit Douglas,de Bobby Robson qui fête sa première sélection ou encore du vétéran Finney.

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Claude Abbes masqué par Douglas. Robson inscrit son premier but pour sa première sélection.

A la mi-temps, le gardien tricolore, à l’image des Bleus, est surclassé par la rapidité et l’intensité des actions anglaises. Pour leur baptême du feu, le trop inexpérimenté Tylinski et Domingo sombrent corps et âme. A la pause, les Anglais mènent logiquement 3-0 grâce à Taylor (3e et 33e) et Robson (24e). En seconde mi-temps, un dernier but de Taylor, son troisième, vient clôturer la rencontre.

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L’équipe de France : en haut : de g. à d. : Kaelbel, R. Tylinski, Bollini, Abbes, Domingo, Zitouni. Accroupis : de g. à d. : Wisnieski, Ujlaki, Douis, Piantoni, Vincent.

Angleterre-France : 4-0 (3-0). 60 000 spectateurs. Arbitre : M. Latychev. Buts : Taylor (3e, 33e, 84e), Robson (24e).
Angleterre : Hopkinson – Howe, Wright, Byrne – Clayton, Edwards – Douglas, Haynes, Taylor, Robson, Finney.
France : Abbes – Zitouni, R. Tylinski, Kaelbel – Domingo, Bollini – Wisnieski, Ujlaki, Douis, Piantoni, Vincent.

Vidéo du match Angleterre-France : 0-4 à Wembley le 27 novembre 1957.

Wright : « Abbes a évité une catastrophe aux Tricolores« 

Billy Wright, le capitaine anglais, est heureux de la nette victoire des siens. Dans L’Equipe du 28 novembre, à la question : « Quel est le Français qui vous a semblé le meilleur ? », il répond : « Le gardien de but Abbes qui, certainement, vous a évité une défaite beaucoup plus lourde que celle qui vous a été infligée. Ensuite, parmi les joueurs sur le terrain, il y eut Bollini et Tylinski, lorsqu’il n’était pas encore handicapé par une blessure. »

Tylinski blessé au genou

Sur les trois Stéphanois présents à Wembley, deux terminent le match blessés. Richard Tylinski, dans un choc avec Taylor, est touché au genou gauche. Sa participation au match qui opposera Saint-Etienne à Reims le dimanche suivant est compromise.

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Richard Tylinski, blessé au genou lors d’un choc avec Taylor est entre les mains de Louis Hainaut, le masseur des Tricolores. René Domingo, partenaire à l’ASSE, et Roger Piantoni sont attentifs. Photo L’Equipe.

Abbes touché au reins

L’autre catastrophe préjudiciable concerne Claude Abbes. Souvent livré à lui-même, contraint de prendre des risques, il se blesse sérieusement à la 59e minute. Alors que l’Angleterre mène 3-0, l’inter gauche Haynes élimine Piantoni et Domingo et se présente une nouvelle fois seul face au gardien français. S’il parvient à détourner le tir de Haynes, en revanche, il ne peut éviter son genou. Le choc est terrible. Touché aux reins, à bout de souffle, il se relève et regagne sa cage sous les applaudissements du public londonien.

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Avant de quitter Londres, Paul Nicolas, Louis Hainaut, René Domingo et Richard Tylinski rendent visite au grand blessé à l’hôpital de Wembley. Domingo, prolonge même d’une journée son séjour pour rester auprès de son coéquipier.

A l’hôpital, Abbes suit l’actualité des Verts

Bien qu’alité et donc bloqué à Londres, Abbes a suivi le match entre Stéphanois et Rémois en championnat. Il essaie aussi de comprendre la rumeur selon laquelle Jean Snella, son entraîneur, en désaccord avec son président, quitterait le club en fin de saison.
Dans son malheur, un petit détail a eu toute son importance : l’infirmière qui s’occupe de lui est d’origine… stéphanoise, plus précisément de Roche-la-Molière. Cette rencontre inattendue a permis à Abbes de converser du pays et se sentir un peu moins seul.
Le 5 décembre, le Stéphanois n’est plus obligé de rester alité. Comme une bonne nouvelle en appelle une autre, il a reçu l’autorisation de quitter Londres une semaine plus tard.

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Distrait grâce aux « Rossignols chantants »

Au quotidien, il reçoit un courrier abondant en provenance du vieux continent. Des étudiants français en Angleterre ou des sportifs anglais lui rendent visite. Mais ses plus fidèles compagnons à l’hôpital se nomment Bonnefoy et Berland. Depuis près d’un an, ces deux artistes lyonnais alias les « Rossignols chantants » sont en représentation au Victoria Theatre de Londres. Chaque jour, ils apportent la presse à l’infortuné gardien français en même temps qu’ils s’évertuent à le distraire. C’est aussi grâce à ces artistes qu’il a pu suivre à la radio le Lens-Saint-Etienne. Ils lui ont apporté un transistor pour son plus grand bonheur.

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Bye bye London

C’est finalement le 10 décembre que Claude Abbes regagne le sol français. Le héros de Wembley comme l’ont surnommé les tabloïds anglais est certes pâle mais souriant. Deux semaines se sont écoulées depuis la débâcle française. Les doutes d’une ablation d’un rein sont dissipés. Cependant, il devra observer un repos complet de deux mois.

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Claude Abbes a été accueilli à son retour de Londres par de nombreux journalistes, mais aussi par des supporters et d’anciens « collègues ». C’est ainsi que Pierre Favier, l’ancien gardien de Saint-Etienne, et Paul Sinibaldi, l’ex-gardien de l’équipe de France, lui souhaitent bonne chance, ainsi que « L’Equipe » qui l’attendait à l’aéroport d’Orly et le conduisit, en voiture, à la gare de Lyon pour le mettre dans le train de Saint-Etienne (photo : Aimé Dartus)

A son arrivée à la gare de Châteaucreux à 18 h 30, une délégation composée de Pierre Faurand, le président de l’AS Saint-Etienne, M. Fontanilles, le vice-président, Jean Snella, l’entraîneur, René Domingo, le fidèle coéquipier et quelques joueurs, sont présents pour le grand retour de leur gardien dans le Forez. Claude Abbes se rappellera longtemps de sa deuxième sélection.

Thierry Clemenceau

 

A suivre : Claude Abbes, l’un des « héros de Suède »

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La Coupe du monde en bleu et vert

Le Musée des Verts se met à l’heure de la Coupe du monde en proposant une exposition unique dans laquelle des objets d’exception racontent  l’épopée des Bleus 98.

La scénographie du Musée des Verts a été conçue autour de 8 salles d’exposition dont une de 135 m2 consacrée aux expositions temporaires. Jusqu’au 10 octobre 2014, l’épopée de l’équipe de France championne du monde est au cœur d’une magnifique exposition temporaire consacrée à la Coupe du monde et à l’histoire qu’ont écrite des Verts d’hier et d’aujourd’hui dans cette compétition.

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Du fameux carnet noir d’Aimé Jacquet aux manches coupées des maillots de Fabien Barthez en passant par des documents jusque-là confidentiels et des photos inédites prises par Jean Bibard et Stéphane Meunier dans l’intimité des vestiaires ou de Clairefontaine, l’exposition réunit de très nombreux objets soigneusement conservés par Philippe Tournon, l’incontournable chef de presse de l’équipe de France.

En plus de la collection de Philippe Tournon, laquelle comprend des maillots, billets, programmes et fanions, le Musée des Verts a rassemblé des pièces appartenant à de grands témoins :
– Henri Emile, entraîneur adjoint d’Aimé Jacquet ;
– Dominique Rocheteau, Coordinateur sportif de l’ASSE et 49 fois international de 1975 à 1986 ;
– Fabrice Grange, entraîneur des gardiens de l’équipe de France de 2006 à 2012 et membre du staff technique des Verts depuis 2012.

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C’est également l’occasion de mettre en avant l’ASSE avec Aimé Jacquet, entraîneur de l’équipe championne du monde et ambassadeur à vie du club mais aussi le stade Geoffroy-Guichard, terre de football par excellence qui a abrité des matches de la Coupe du monde 1998.

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Le Musée des Verts, inauguré le vendredi 20 décembre 2013, a déjà accueilli plus de 38 000 visiteurs. L’ASSE est le premier club de football français à ouvrir un musée. Impulsée par le Conseil général de la Loire, la création de cet espace exceptionnel de 800 m2 répond à la volonté de l’ASSE de valoriser son histoire, de promouvoir ses valeurs et de satisfaire la passion de tous ses supporters. Elle s’inscrit dans le projet de rénovation du stade Geoffroy-Guichard, porté par Saint-Étienne Métropole. Ce projet exprime une volonté partagée de voir vivre un ensemble muséal unique autour d’un club de football mythique.

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Claude Abbes : le héros du Heysel (1/4)

La Coupe du monde bat son plein au Brésil. En 1958, lors de l’épopée suédoise, à l’instar de Stéphane Ruffier aujourd’hui, un seul Stéphanois figurait parmi les 22 Bleus. Je vous propose aujourd’hui de vous faire revivre la première sélection de Claude Abbes en 1957. Bonne lecture.

 

En cette deuxième quinzaine d’octobre 1957, les Français attendent fébrilement que MM. Paul Nicolas et Albert Batteux annoncent la liste des internationaux français convoqués pour affronter l’équipe nationale de Belgique. Le match du dimanche 27 octobre au stade du Heysel s’annonce très lourd de conséquences. En effet, jamais un Belgique-France n’aura eu une telle importance. Le vainqueur gagnera son ticket pour la Coupe du monde qui aura lieu en Suède du 8 au 29 juin 1958.

Epidémie de grippe en Europe

Les sélectionneurs français sont préoccupés par deux choses : la méforme de certains de ses internationaux et surtout la grippe qui sévit en Europe.

Quand la liste des 22 est annoncée, un seul joueur de l’AS Saint-Etienne est retenu : Claude Abbes. Le gardien stéphanois, excellent avec son club, a été appelé pour suppléer, en cas de forfait de dernière minute, Dominique Colonna, le titulaire.

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Claude Abbes, le gardien stéphanois, et ses célèbres pulls qui font office de maillot, lors d’un match au stade Geoffroy-Guichard (photo : L’Equipe)

Depuis le 23 octobre, les Bleus sont réunis à Rueil, dans leur lieu de villégiature.

Mais deux jours après leur arrivée, la psychose de la grippe continue à exercer ses ravages sur l’équipe de France. A midi, Dominique Colonna est pris d’une forte fièvre. Un peu plus tard, Pierre Cahuzac, se plaint d’une douleur au genou. En début de soirée, Ujlaki ressent les mêmes symptômes que le gardien tricolore. Pour ces trois-là, le match de Bruxelles s’éloigne.

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Première cape à 30 ans

Claude Abbes, de son côté, même s’il se tenait prêt, n’y croyait plus vraiment. A 30 ans, il va enfin connaître sa première sélection en équipe nationale. « Dire que j’y croyais à cette sélection serait exagéré, explique le néo-international dans L’Equipe daté du 25 octobre. J’ai eu 30 ans au mois de mai, pas mal de malchance et des concurrents très sérieux. Ainsi, lorsque l’équipe des Espoirs battit le Luxembourg par 8 buts à 1, je devais en faire partie, mais je me suis cassé le bras quelques jours avant.

En revanche, j’ai failli jouer la Coupe du monde 54. J’étais seulement le 4e gardien de la liste, mais les trois autres furent un moment indisponibles ! Mais Remetter put quand même tenir le poste. C’est peut-être ce qui m’arrivera encore dimanche. En tout cas, je le souhaiterai, si cela pouvait remettre Dominique plus vite sur pied. » Tout cela dit avec une bonne humeur et un sourire perpétuel. »

Pour fêter la première sélection de leur gardien, les joueurs stéphanois ont offert au futur ingénieur en électronique un « Traité en mathématiques ».

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Billet du match Belgique-France du 27 octobre 1957 au stade du Heysel. (collection personnelle de Philippe Gastal, conservateur du Musée des Verts)

Seul gardien de métier au Heysel

En Belgique, il sera le seul véritable gardien français de la délégation puisque le Sedanais Pierre Bernard, également convoqué, est alité avec 39 de fièvre et a dû déclarer forfait. Si le Stéphanois venait à se blesser, il serait alors remplacé par le Sedanais Célestin Oliver, un joueur de champ. Du statut de remplaçant, Abbes devient le titulaire indispensable et surtout irremplaçable. Dans L’Equipe du 26 octobre 1957, Paul Nicolas ne dit-il pas sur le ton de la plaisanterie : « Je ferai venir demain matin une balle de coton pour mettre Abbes dedans. ». Et Albert Batteux de surenchérir : « Le gardien stéphanois est actuellement le joueur le plus cher sur le marché ! »

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L’équipe de France : debout : Kaelbel, Oliver, Zitouni, Penverne, Abbes, Lerond. Accroupis : de g. à d. : Brahimi, Marcel, Bruey, Leblond, Vincent.

Ce dimanche 27 octobre, le stade affiche complet : les 80 000 places ont trouvé preneurs. Abbes connaît l’enjeu de ce match et ne veut pas se rater.

Le plat pays qui est le sien

Au cours des 47 précédentes confrontations entre les deux nations, les « coqs » français ont été plumés à 20 reprises (contre 17 victoires). Dans ce plat pays cher à Jacques Brel, les Bleus n’ont ramené que 5 petites victoires.

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Programme du match Belgique-France du 27 octobre 1957 au stade du Heysel. (collection personnelle de Philippe Gastal, conservateur du Musée des Verts)

Le nouveau gardien des Bleus ne laisse rien au hasard. La couleur fétiche de son maillot est le jaune et le staff tricolore a oublié ce petit détail. Abbes, la veille du match court tout Bruxelles pour trouver le maillot adéquat.

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Au stade du Heysel, Claude Abbes connaît enfin sa première sélection en Bleu.

Pour cette 48e confrontation entre les deux nations, l’équipe de France ne brille pas. Elle obtient un triste 0-0 qui lui assure pourtant l’essentiel : une participation à une Coupe du monde. Pour sa première sélection, le gardien stéphanois a été le meilleur joueur français. A lui seul, il décourage adversaires et spectateurs acquis à la cause des Belges. Tout au long du match, il est brillant dans ses interventions, plonge à plusieurs reprises dans les pieds des attaquants belges Delire et Orlans et quand il manque son intervention, c’est Zitouni, son défenseur, qui le supplée. Il ne peut rêver meilleurs débuts sous le maillot tricolore. A la fin de la rencontre, Armand Penverne, le capitaine tricolore, félicite son gardien qui a su résister aux assauts belges et conservé sa cage inviolée. M. Helge, l’arbitre de la rencontre, déclare qu’Abbes est le meilleur gardien français qu’il n’ait vu.

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Le gardien français, comme ses coéquipiers, est concentré pendant les hymnes. Une place en Coupe du monde est en jeu.

« Le plus heureux des gardiens »

Dans L’Equipe du 28 octobre, Paul Nicolas, le patron de l’équipe nationale est satisfait de son gardien et ne le cache pas : « Pour moi, la défense a été, dans son ensemble, remarquable. Abbes a été parfait dans le buts. Il a effectué des interventions d’une netteté totale. »

De son côté, le principal intéressé avec son accent chantant confie : « Durant les trois jours qui avaient précédé la rencontre, j’étais nerveux comme un gamin, malgré les apparences. Et quelques instants avant la rencontre, cet état fébrile a rapidement disparu. Voyez-vous, j’ai joué devant la Belgique comme je l’aurais fait avec Saint-Etienne contre une autre équipe de club et je crois que c’est cela qui m’a sauvé. (…) Bref, je suis aujourd’hui le plus heureux des gardiens. »

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FranceFootball consacre sa Une aux deux « Bleus » que sont Abbes et Bruey.

Sur la pelouse du Heysel, celui que les supporters stéphanois surnomment Yachine, a conquis de haute lutte ses galons en Bleu. En moins de trois jours, Claude Abbes est passé du rang de joyeux remplaçant à celui de vedette du match de l’année.

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Lors de ce Belgique-France (0-0), Claude Abbes sauve les Bleus à plusieurs reprises.

« Ma chance, c’est d’être allé de Béziers à Saint-Etienne »

« Ce ne fut certainement pas un beau match mais ils se sont qualifiés pour la « vraie » Coupe du monde. C’est l’essentiel. Après tout, c’était pire qu’un match de Coupe : un véritable match de barrage. Et on sait ce que ça veut dire. Et puis, Abbes était là, et bien là. Ca n’a rien d’étonnant : il y a des années qu’il est très bon. » L’homme qui prononce ces paroles n’est autre que l’habituel gardien titulaire et ami du Stéphanois, un certain… Dominique Colonna. Il est venu attendre les Bleus à la Gare du Nord. Le héros de Bruxelles descend du train tout sourire. Lui qui a connu tant de mésaventures déclare : « Je me suis cassé le bras, le pied droit, les deux index. Ces deux derniers sont d’ailleurs encore déformés et ça me gêne… pour donner les cartes ! Il est vrai que je n’avais pas encore beaucoup de métier quand j’ai eu ces blessures. Car si on me considère presque comme un « vieux » avec mes trente ans, je suis quand même un jeune professionnel, car j’ai débuté tard, à 24 ans. Ma chance, c’est d’être allé de Béziers à Saint-Etienne. J’y ai appris beaucoup et j’ai surtout trouvé un climat moral exceptionnel. Je crois que ce climat joue un rôle encore plus important pour le gardien que pour n’importe quel autre équipier. »

Belgique-France : 0-0. 80 000 spectateurs. Arbitrage : M. Helge (Danemark).

Belgique : Leysen – Dries, Nelissen, Van Brandt – Mees, Mathonet – Piters, Givard, Delire, Vandenberg, Orlans.

France : ABBES – Kaelbel, Zitouni, Lerond – Penverne, Olivier – Brahimi, Marcel, Bruey, Leblond, Vincent.

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Photos et légendes : L’Equipe.

A suivre : Claude Abbes, le « héros de Wembley »

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La Coupe du monde en bleu et vert

Le Musée des Verts se met à l’heure de la Coupe du monde en proposant une exposition unique dans laquelle des objets d’exception racontent  l’épopée des Bleus 98.

La scénographie du Musée des Verts a été conçue autour de 8 salles d’exposition dont une de 135 m2 consacrée aux expositions temporaires. Jusqu’au 10 octobre 2014, l’épopée de l’équipe de France championne du monde est au cœur d’une magnifique exposition temporaire consacrée à la Coupe du monde et à l’histoire qu’ont écrite des Verts d’hier et d’aujourd’hui dans cette compétition.

Du fameux carnet noir d’Aimé Jacquet aux manches coupées des maillots de Fabien Barthez en passant par des documents jusque-là confidentiels et des photos inédites prises par Jean Bibard et Stéphane Meunier dans l’intimité des vestiaires ou de Clairefontaine, l’exposition réunit de très nombreux objets soigneusement conservés par Philippe Tournon, l’incontournable chef de presse de l’équipe de France.

En plus de la collection de Philippe Tournon, laquelle comprend des maillots, billets, programmes et fanions, le Musée des Verts a rassemblé des pièces appartenant à de grands témoins :
– Henri Emile, entraîneur adjoint d’Aimé Jacquet ;
– Dominique Rocheteau, Coordinateur sportif de l’ASSE et 49 fois international de 1975 à 1986 ;
– Fabrice Grange, entraîneur des gardiens de l’équipe de France de 2006 à 2012 et membre du staff technique des Verts depuis 2012.

C’est également l’occasion de mettre en avant l’ASSE avec Aimé Jacquet, entraîneur de l’équipe championne du monde et ambassadeur à vie du club mais aussi le stade Geoffroy-Guichard, terre de football par excellence qui a abrité des matches de la Coupe du monde 1998.

Le Musée des Verts, inauguré le vendredi 20 décembre 2013, a déjà accueilli plus de 38 000 visiteurs. L’ASSE est le premier club de football français à ouvrir un musée. Impulsée par le Conseil général de la Loire, la création de cet espace exceptionnel de 800 m2 répond à la volonté de l’ASSE de valoriser son histoire, de promouvoir ses valeurs et de satisfaire la passion de tous ses supporters. Elle s’inscrit dans le projet de rénovation du stade Geoffroy-Guichard, porté par Saint-Étienne Métropole. Ce projet exprime une volonté partagée de voir vivre un ensemble muséal unique autour d’un club de football mythique.

 

Moravcik, la bonne affaire

La Coupe du monde au Brésil a débuté depuis une semaine. Cette compétition est l’occasion pour quelques joueurs de se révéler. En 1990, lors du Mondiale organisé par l’Italie, Lubomir Moravcik, le stratège gaucher de l’équipe tchécoslovaque, montrait au monde entier l’étendue de son talent. En lui faisant signer un pré-contrat, les dirigeants stéphanois, à la recherche d’un meneur de jeu, avaient eu le nez creux. Récit d’un transfert réussi pour les Verts.

PRESENTATION ST ETIENNE

« Nous allons prendre notre temps pour choisir le meneur de jeu qui nous a fait tant défaut la saison passée. » Ces paroles sont prononcées par André Laurent, le président de l’AS Saint-Etienne fin juin 1990. Christian Sarramagna, le remplaçant de Robert Herbin, et son staff ne veulent pas se tromper. Pour ce poste à vocation offensive, Bernard Bosquier s’est renseigné sur le joueur marseillais Philippe Vercruysse. Mais le prix demandé par l’OM et le salaire du joueur ont refroidi les ardeurs stéphanoises. Le club cherche un bon technicien mais ne souhaite pas dépenser l’argent qu’il ne possède pas.

Deux joueurs pour une place

Deux joueurs se retrouvent en balance. Fabian Vasquez, un Argentin de 27 ans, qui évoluait précédemment au Velez-Sarsfield. Elu meilleur joueur de son pays en 1987, il est arrivé dans le Forez pour un essai en compagnie d’Oswaldo Piazza, l’ancienne gloire des Verts. Il est en concurrence avec un international tchécoslovaque : Lubomir Moravcik. Inconnu ou presque du public français avant la Coupe du monde disputée en Italie, ce joueur de 25 ans est un bon dribbleur doté d’une excellente frappe. Bernard Bosquier, le directeur sportif du club, le suit depuis près d’un an.

 Moravcik dans le Top 10

Dans le quotidien régional La Tribune-Le Progrès daté du 29 juin 1990, l’ancien défenseur des Verts dans les années 60 évoque la future recrue du club : « Moravcik coûte trois fois plus que Vasquez au plan du transfert. Je connais Moravcik depuis un an (…) Actuellement, il y a une surenchère (…) Nous avons un précontrat avec Moravcik. Maintenant, il faut voir avec les dirigeants de Nitra. Si l’accord est respecté, l’affaire se réalisera à mon avis. On a vu Moravcik au « Mondiale ». Il fait partie des dix meilleurs joueurs. »

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Lubomir Moravcik, auteur d’un bon Mondiale italien, a fait étalage de son talent au monde entier.

Quart de finaliste avec la Tchécoslovaquie au Mondiale

Si Fabian Vasquez est un inconnu en France, Lubomir Moravcik, en revanche, ne l’est plus depuis le début du Mondiale. Après des matches de poules convaincants, la Tchécoslovaquie ne s’incline qu’en quarts de finale contre l’Allemagne (0-1), le futur vainqueur de l’épreuve. Lors de cette rencontre, Moravcik, l’un des meilleurs passeurs depuis le début de la compétition, est expulsé stupidement (la deuxième exclusion de sa carrière à ce jour) pour avoir jeté sa chaussure en l’air en signe de protestation suite à une faute de Littbarski (70e). M. Helmut Kohl, pas le chancelier allemand (!) mais l’arbitre autrichien de la rencontre, sort le carton rouge et lui indique le chemin des vestiaires. Pour lui, la Coupe du monde s’arrête à cet instant.

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Lubomir Moravcik (accroupis, le deuxième en partant de la gauche), a réalisé, avec la sélection de Tchécoslovaquie, un excellent Mondiale italien.

MM. Laurent et Bosquier se déplacent en Italie

Le 1er juillet, jour de ce match, André Laurent et Bernard Bosquier, le directeur sportif, prennent la direction de l’Italie, plus précisément de Milan où se dispute la rencontre. Au menu des deux dirigeants stéphanois : ce fameux quart de finale de la Coupe du monde. Il faut dire que l’équipe nationale tchécoslovaque n’a plus participé à un grand rendez-vous depuis le Mundial espagnol en 1982.

PRESENTATION ST ETIENNE
Bernard Bosquier (à g.) pose avec André Laurent, son président (au centre) et Christian Sarramagna, le nouvel entraîneur des Verts (à d.).

Mais avant d’assister à ce match, ils rencontrent le vice-président du club de Nitra. Le temps presse. Les bonnes prestations de Moravcik font monter la cote du joueur du Plastika Nitra. Lors de ce Mondiale, Venglos, le sélectionneur, le fait évoluer sur le côté droit, Chovanec et Kubic, occupent l’autre aile.

Les dirigeants du FC Nitra n’ont qu’une parole et le précontrat signé avant le Mondiale est respecté. La somme annoncée pour cette transaction est de 7,5 millions de francs payables en deux fois si les dirigeants stéphanois le souhaitent.

A l’issue de cette entrevue, André Laurent se veut rassurant mais reste néanmoins prudent sur le sujet.

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Lubomir Moravcik, le meneur de jeu qui manque à Saint-Etienne.

Moravcik en Vert pour 4 ans

Ce n’est que le mercredi 11 juillet que le petit gaucher tchécoslovaque, après une semaine de vacances bien méritée (il n’en avait pas pris depuis quatre ans en raison de ses études et de son service militaire), débarque à Saint-Etienne. Dans les salons du stade, il signe un contrat de quatre ans en faveur des Verts. Selon les dires du futur petit stratège stéphanois (1,70 m, 68 kg), le montant du transfert avoisine finalement le million de dollars (soit environ 6 millions de francs). Nitra réalise une opération juteuse. Pour en arriver là, les dirigeants stéphanois ont dû traiter avec la société internationale de marketing et sponsoring sportif « Télé-Mundi » dont l’agent n’est autre que Anton Ondrus, l’ancien joueur international (63 sélections) qui a évolué à Thonon-les-Bains.

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Lubomir Moravcik. à la sortie du tunnel du stade Geoffroy-Guichard

La révolution de velours favorise les mutations

Avant la révolution de velours, un joueur tchécoslovaque ne pouvait quitter son pays avant l’âge de 30 ans. Ondrus a fait ses valises à l’âge de 32 ans et 45 sélections. Moravcik, lui, pourra donc exprimer son talent en dehors des frontières de son pays dès l’âge de 25 ans, comme dix de ses compatriotes sur les vingt-deux présents à la Coupe du monde. Autre évolution majeure de cette révolution, Moravcik a obtenu sa lettre de sortie quatre jours seulement après la signature de son contrat.

 Vidéo Youtube : Le magicien du Forez.

 

La belle opération de Bosquier

Saint-Etienne réalise donc l’un de ses plus beaux transferts. Pas moins de huit clubs et non des moindres : Arsenal, Dortmund, Southampton, les Glasgow Rangers, Kaiserslautern, Gijon, la Fiorentina et Parme, excusez-du peu ! s’étaient renseignés. Bernard Bosquier, de son côté, est soulagé : lui qui a dû batailler avec de nombreux intermédiaires plus ou moins honnêtes, réalise son premier « gros » coup pour les Verts.

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Recommandé par Ondrus à Bosquier, Moravcik, après plus de huit de mois de tractations, signe à Saint-Etienne.

Un effectif renouvelé à 60 %

Moravcik rejoint ainsi un autre héros du Mondiale italien, le Camerounais Jean-Claude Pagal. Avec les arrivées de Kastendeuch, Lambert et Cyprien, entre autres, le club stéphanois met un terme à un recrutement estival tant quantitatif que qualitatif. Christian Sarramagna, en renouvelant son effectif à 60 %, a la sensation d’avoir investi « juste ». En revanche, Vasquez qui effectuait le stage d’avant-saison à Beauzac (Haute-Loire), n’a pas été retenu.

 

Mais qui est réellement ce Slovaque révélé lors du Mondiale italien?

Footballeur de père en fils

Lubomir Moravcik est né le 22 juin 1965 à Nitra. Il est le fils de Jan Moravcik, un ancien joueur de football de Nitra durant une dizaine d’années. Contrairement à Lubomir, Jan jouait plutôt défenseur ou milieu de terrain.

Gamin, Lubo, comme on le surnomme, pratique le tennis et le hockey sur glace pour le simple plaisir de jouer. Mais c’est vers le football qu’il se dirige. Milan Lesicky découvre cette pépite à Nitra. Fier de sa trouvaille qui joue aussi bien avec son pied droit que le gauche, il avoue à propos de son jeune protégé : « Un joueur comme on en repère 1 sur 10 000« . Très jeune, il décroche un titre de champion de Slovaquie avec son équipe de minimes du Plastika Nitra. Malgré son évolution au fil des années, il ne connaît pas les joies des sélections nationales de jeunes.

Première sélection le 11 novembre 1987

A l’âge de dix-huit ans, ses qualités techniques, au-dessus de la moyenne, lui ont permis de se faire une place dans l’équipe première de son club. Le stratège devient rapidement l’idole de la ville située à 80 kilomètres au nord-est de Bratislava. Sa réputation conjuguée à son talent dépassent peu à peu les frontières du pays. A 21 ans, ils lui valent même d’être convoqué chez les Olympiques avec lesquels il dispute dix matches pour un but inscrit contre la Finlande. Il honore sa première sélection avec les A le 11 novembre 1987 lors d’un Tchécoslovaquie-Pays de Galles (2-0).

En 1989, le club de Las Palmas lui fait les yeux doux mais Lubomir résiste aux sirènes du Sud.

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Lubomir Moravcik n’hésite jamais à aller au charbon comme ici lors d’un Saint-Etienne-OM.

Fidèle à Nitra

Très attaché à sa ville natale située en Slovaquie, il ne se voit pas non plus évoluer au Sparta ou aux Bohemians de Prague qui, elles, sont en Tchéquie. Aussi, avant de songer aux suites à donner à sa carrière, il souhaite terminer ses études d’ingénieur agronome. Parallèlement à son apprentissage footballistique, il fait des études à l’Ecole technique du bâtiment.

Avec Nitra, il dispute deux matches de Coupe d’Europe contre Cologne pour autant de défaites. L’aventure en UEFA s’arrêtera dès le premier tour.

Son transfert à Saint-Etienne permet à Nitra, premier club tchécoslovaque à avoir adopté officiellement le statut pro depuis l’automne précédent, de réaliser un opération juteuse tout comme le joueur. Dans ce club, l’international -il compte 20 sélections- gagne 8 000 couronnes, soit 1 600 francs mensuels, auxquels il faut ajouter les primes. En comparaison, en qualité d’ingénieur, il aurait gagné 3 000 couronnes soit 600 francs mensuels.

Dans le Forez, Moravcik, désormais rejoint par sa femme et son fils, occupe une villa où a résidé également le Marocain Mustapha El-Haddaoui, à Terrenoire, dans la banlieue stéphanoise. Le cadre très verdoyant lui rappelle sa ville natale.

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Document : Musée des Verts.

L’homme est studieux

L’homme est déterminé. Pour s’adapter au plus vite et donner sa pleine mesure, il s’astreint quotidiennement à une heure de français et ne se défait jamais de son manuel de français pour compléter ses heures de cours. Il est secondé par son ami et interprète Georges Hron, psycho-sociologue au CHR de Saint-Etienne. Il apprend très vite la langue de Molière. Il faut dire qu’il a quitté il y a peu de temps l’école avec son diplôme en poche.

Vidéo Youtube : Les exploits de Lubo Moravcik :

 

Enfin, pour l’anecdote, Eric Cantona est indirectement à l’origine de la venue du futur numéro 10 stéphanois. En inscrivant le but qui a privé les Verts de la finale de la Coupe de France le 26 mai 1990, il a précipité le départ de Robert Herbin. Si ce dernier était resté en place, Moravcik n’aurait sans doute jamais mis les pieds dans le Forez. En effet, le « Sphinx » avait estimé que plusieurs joueurs dans son équipe pouvaient se transformer organisateur. Bernard Bosquier, malgré sa quête d’un meneur de jeu depuis huit mois, ne trouvait guère d’échos vis-à-vis de son entraîneur. Le Hongrois Bognard, qui avait trouvé un accord avec l’ASSE, las d’attendre, avait fini par s’engager avec le Standard de Liège.

Pierre Haon (à g.) et Rob Witschge, joueurs malheureux de la demi-finale contre Montpellier (0-1).
Pierre Haon (à g.) et Rob Witschge, joueurs malheureux de la demi-finale contre Montpellier (0-1).

Qu’importe, Saint-Etienne a trouvé le meneur de jeu qui lui fait défaut et le public du stade Geoffroy-Guichard est prêt à s’enflammer pour sa future idole… A Nitra, Lubo portait le numéro 6, en sélection, il évolue avec le 11 et à « Sainté », il évoluera avec le numéro 10, comme celui d’un certain Michel Platini, meneur de jeu une décennie avant son arrivée… et idole de Moravcik.

Th. Clemenceau

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Michel Platini, l’idole de Lubomir Moravcik.

 

LES  B O N U S  :

MAG: PORTRAIT : LUBOMIR MORAVCIK (1/2) :

 

MAG: PORTRAIT : LUBOMIR MORAVCIK (2/2) :

 

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Pierre Bernard : la modestie au service du football (suite)

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Pierre Bernard, une recrue de choix pour l’AS Saint-Etienne.

 

Juin 1963. Le championnat a rendu son verdict : Nîmes termine sixième . L’annonce du possible départ de leur entraîneur Kader Firoud laisse les joueurs dans l’expectative. Tout comme celui programmé de leur gardien Pierre Bernard. Ce dernier, à 31 ans, est toujours ambitieux. Et d’ambition, l’AS Saint-Etienne, présidé par Roger Rocher n’en manque pas. Les Verts sont de retour en Division 1 et ne souhaitent pas y faire de la figuration. Le moral est au beau fixe dans le Forez. Jean Snella, de retour au club après quatre ans d’absence, c’est la promesse de lendemains enchanteurs. L’un de ses premiers transferts s’appelle… Pierre Bernard.

L'Equipe daté du 8 juillet 1964
L’Equipe daté du 8 juillet 1964

A l’image de son entraîneur, l’homme est tranquille et ses gestes toujours mesurés. Il peut décourager l’approche, tant par sa gentillesse que par sa froideur. Sportivement et psychologiquement, le mentor stéphanois sait ce qu’un tel élément peut apporter à son équipe. Les Verts sont armés pour effectuer une belle saison : un gardien de haut niveau et huit internationaux. De Herbin à Ferrier, sans compter Mekloufi, chacun espère retrouver en cette équipe, celle qui avait conquis le premier titre en 1957.

Le 24 août, en Coupe de la Ligue, les Verts font match nul contre Grenoble (2-2). Roland Guillas, l’ancien Stéphanois, se rappelle au bon souvenir de son ancien club en inscrivant les deux buts isérois. Lors de cette rencontre, Pierre Bernard ne termine pas le match suite à une blessure à son épaule.

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UNE L’EQUIPE 26 AOÜT 63

Fin août, le club du président Rocher négocie le transfert d’un deuxième Bernard. Toulouse ne serait pas contre laisser Jacky rejoindre son frère dans le Forez. Finalement, le transfert ne se fera pas.

Le 1er septembre, Pierre Bernard, le plus précis des gardiens français depuis Darui, fait ses grands débuts en Vert contre Valenciennes (1-1).

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L’Equipe 2 septembre 1963

A près de 32 ans, le nouveau gardien stéphanois garde une belle cote de popularité comme le confirme son déplacement avec l’équipe de France à Sofia. Mais l’homme ne parle jamais au hasard. Ses observations ne manquent rarement d’intérêt : « La première fois que j’ai joué contre les Bulgares, c’était un match un peu particulier pour moi puisqu’il s’agissait de ma première cape en équipe de France. On avait gagné 3-0. »

Un gardien qui fait l’unanimité

Dans le Forez, il ne tarde pas à faire l’unanimité. Après un Racing-Saint-Etienne, Roger Rocher, son président, ne tarit pas d’éloges à son encontre : « Bernard nous a fait une partie époustouflante. C’est lui qui a fait basculer le match. »

Le19 janvier 1964, il fait partie de l’expédition à Valenciennes. Dans le Nord, René Domingo, le capitaine des Verts, se fracture la jambe et doit mettre un terme à sa carrière. Pierre Bernard, quant à lui, se blesse. La défense stéphanoise est décimée.

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L’Equipe daté du 21 janvier 1964

 Lors d’un match Lyon-Lens une semaine plus tard, Kader Firoud, présent dans le Rhône, lâche à Snella : « Pierre Bernard a déjà rapporté au moins dix points à Saint-Etienne, j’en suis ravi pour lui et pour l’ASSE qui a été aussi mon club. »

Fin février, après un match à Angers, celui qui joue toujours avec des chaussures trop grandes « pour ne pas se blesser les pieds » déclare le plus sérieusement du monde : « Je ne crois plus aux terrains mascotte depuis que j’ai pris huit buts à Angers avec Nîmes alors que ce terrain m’avait toujours réussi.

« Il n’est pas prouvé que je sois meilleur que Pierrot »

Chez les Bleus, Pierre Bernard a toujours dû composer avec la concurrence de très bons gardiens. Après Remetter et Taillandier, son copain Marcel Aubour, grand espoir français, pointe le bout de son nez. Ce joyeux luron tempère pourtant : « Il n’est pas prouvé que je sois meilleur que Pierrot qui n’a pas démérité en équipe de France. Si je devais prendre sa place dans ces conditions, ça me ferait quelque chose. Je crois que pour l’équipe de France, j’ai le temps. »

Le jeune espoir fait référence au match des Bleus le 23 mai 1964. Ce jour-là, Bernard, capitaine de surcroît, se loupe en voulant dégager du poing un ballon tourbillonnant, il concède ainsi un but de débutant. « J’ai pris une savonnette, comme l’on dit dans le jargon des gardiens de but, c’est-à-dire que la balle, assez facile pourtant à capter, m’a filé entre les doigts comme une savonnette vous échappe sous la douche« , déclare-t-il après coup. Décidément, il ne gardera pas un souvenir impérissable de ses voyages au-delà du rideau de fer, que ce soit à Sofia ou à Budapest. Malgré cette bourde, il reçoit la médaille d’or de la FFF au cours du banquet qui clôture ce déplacement.

Le 31 mai, Saint-Etienne chute lourdement à Sedan mais devient, dans le même temps, champion de France. C’est également le premier titre pour le gardien des Verts.

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L’Equipe daté du 1er juin 1964

Vidéo : l’AS Saint-Etienne est champion de France pour la seconde fois de son histoire.                     http://youtu.be/BYpZ0WrzAUI

« Il est franc et modeste, trop modeste même« 

Dans l’hebdomadaire FranceFootball daté du 9 juin 1964, Jean Snella présente fièrement ses champions 64. De son gardien, il dit : « Bernard, je le connaissais bien puisque j’avais déjà eu affaire à lui en équipe de France B. Il est très franc et modeste, trop modeste même. En sélection, j’avais déjà remarqué qu’il limitait ses ambitions et qu’il ne croyait pas assez en lui. Même encore maintenant qu’il a acquis la notoriété en sélection et qu’il a fait ses preuves, il a tendance à douter de lui-même (…) Cela dit, il a été le gardien de but de grande classe dont nous avions besoin, dont toute grande équipe a besoin pour remporter des succès. (…) Dans la vie, d’autre part, il s’est épanoui, s’est ouvert plus franchement, s’est même mis à chahuter avec ses camarades. C’est un garçon très sociable, qui fait la part des choses, qui comprend les gens, qui est intelligent. Bien sûr, il n’a pas un commandement à la Da Rui, mais sa présence est suffisante pour imposer le respect à ses coéquipiers. (…) Pourtant, au début de la saison, son transfert avait été un peu discuté car on estimait que le montant était trop élevé pour un gardien. Mais j’estimais qu’à un poste clé, il fallait acquérir les services d’un homme de grande classe pour lequel on pouvait consentir des sacrifices. »

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Jean Snella en grande discussion avec Pierre Bernard.

A 33 ans, la carrière de Pierre Bernard semble définitivement terminée depuis Budapest. Avec ses deux prénoms, Pierre Bernard s’est fait un nom dans le football mais n’était-il peut-être n’était-il pas destiné à l’exportation.

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Le 14 mars 1965, Saint-Etienne s’impose à Lyon (1-0) lors du derby. Ce jour-là, Pierre Bernard est héroïque et fournit un match de premier ordre. Guérin ne s’y trompe pas et le convoque pour affronter l’Autriche.
Une première pour lui ou… presque. Dans L’Equipe du 24 avril 1965, il confie à Jean-Paul Oudot : « La réussite, cela ne s’explique pas. Cela vient, cela passe… Je n’ai jamais joué contre les Autrichiens. Ou plus exactement depuis… 1949. C’était un France-Autriche Juniors. Comme le temps passe… »

Début avril 1965, Saint-Etienne affronte Valenciennes au stade de Gerland en Coupe de France. Ce jour-là, sous les yeux du sélectionneur Henri Guérin, il réalise l’un de ses meilleurs matches de sa carrière. Sa prestation époustouflante permet aux Verts de se qualifier pour le tour suivant. Le sélectionneur français lui accorde à nouveau sa confiance.
Fin septembre, les hommes de Jean Snella se déplacent à Angers. Le gardien stéphanois effectue encore des prouesses. A croire que depuis ses huit buts encaissés avec Nîmes en 1962, un sentiment de revanche l’habite.

21 comme le nombre de ses sélections

A trente-trois ans et deux mois, il connaît sa dernière sélection avec les Bleus le 24 mars 1965 contre l’Autriche (1-2). A l’issue de cette rencontre, son compteur en équipe de France restera à jamais bloqué sur le chiffre 21.

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Contre l’Autriche, Pierre Bernard connaît sa dernière sélection en Bleu.

 

Vidéo INA : le match France-Autriche : 1-2.

 

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Le 18 janvier 1966, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire FranceFootball, il consent : « Avec les années, je suis devenu plus détendu, plus optimiste aussi. Je n’ai jamais été exubérant mais il faut comprendre que j’étais réservé et un peu timide. Je ne suis pas ainsi avec les gens que je connais bien. »

Retour sur une carrière bien remplie

Il revient aussi sur sa carrière et les clubs pour lesquels il a joué : « Je crois que j’ai connu quatre clubs très différents, mais qui, tous les quatre, ont eu de bonnes périodes. J’ai joué le titre avec Nîmes, j’ai gagné la Coupe avec Sedan et le championnat avec Saint-Etienne. Je ne suis pas mécontent mais on peut toujours faire mieux. ». Sur son passage en équipe de France : « J’ai participé à une série noire, du temps de M. Verriest. On ne gagnait jamais, on était malchanceux. J’ai été pris dans le nettoyage qui a suivi. Mais il n’y a qu’une chose importante, la valeur du terrain… Ce n’est pas parce que je ne suis plus le numéro 1 que je suis forcément le quinzième ou le vingtième. »

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Pierre Bernard, le gardien à la casquette.

Jamais un mot plus haut que l’autre

S’il n’est pas à un tournant de sa carrière, il pense forcément à l’avenir et notamment la fin de sa vie de joueur. « C’est dur si on a un tempérament de vedette mais je ne l’ai jamais eu… » Le ton est posé, pas un mot n’est plus haut que l’autre. Il n’exprime aucun regret, ni la moindre déception. Il n’en veut à personne : « Pourquoi donc en voudrais-je à quelqu’un ? Même pas à M. Guérin... » Ainsi est Pierre Bernard.
Impassible telle une statue sur son piédestal, en ce début de l’année 1966, quelque chose a changé chez lui. La carapace dans laquelle il s’était enfermée s’est fêlée. L’homme s’est métamorphosé. Il respire désormais le calme et la sérénité. Il le consent volontiers : « A partir d’un certain moment, je suis comme les jolies femmes, je ne dis plus mon âge. » A 34 ans, on pourrait le croire sur le déclin. Lui préfère penser qu’il peut encore jouer deux-trois saisons au plus haut niveau.

Fin mars 1966, lors d’un déplacement à Nantes, Pierre Bernard mesure encore un peu plus sa cote de popularité. Les spectateurs, amassés au bord du terrain, lui réclament des autographes. La scène se révèle insolite.

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Jean Snella présente l’équipe 1967. De g. à d. : Pierre Bernard, Bernard Bosquier, Jean Snella, Hervé Revelli et Robert Herbin.

Le 28 septembre, Toulouse fête Bernard, pas le Stéphanois mais Jacky, le benjamin de la famille Bernard. Pour ce jubilé exceptionnel, « Pierrot » renforce l’équipe toulousaine qui reçoit au Stadium le Real Madrid, champion d’Europe en titre. Malgré l’absence du Rémois Kopa, l’ex-Madrilène, le club du président Doumeng peut compter sur la présence d’un autre Stéphanois : Rachid Mekloufi. Pour les frères Bernard, cela constitue une première et un grand moment d’émotion : ils sont enfin réunis sous un même maillot… le temps d’un match.

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Scène de joie dans le vestiaire stéphanois. Pierre Bernard est accroupis à droite de Robert Herbin.

Le 11 juin 1967, Saint-Etienne s’impose 3-0 sur le terrain d’Angers et devient le trentième champion de France depuis l’instauration du championnat professionnel. C’est le deuxième titre de champion de Pierre Bernard sous le maillot vert.

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L’équipe championne de France 1967 : en haut, de g. à d. : Jacquet, Bosquier, Sbaïz, Bernard, Polny, Gonzales. En bas : de g. à d. : Fefeu, Herbin, Revelli, Mekloufi et N’Doumbé.

Vidéo INA :

Retour de l’équipe championne de France à Saint Etienne : http://www.youtube.com/watch?v=HkqOl30G5oQ

L’appel des States ?

En 1963, Jean Snella effectue son grand retour à Saint-Etienne. Pierre Bernard, ses grands débuts. En 1967, l’entraîneur stéphanois quitte les Verts. Bien que son destin ne soit pas lié à celui de son entraîneur, le gardien stéphanois, à 35 ans, s’interroge sur la suite à donner à sa carrière. En fin de contrat, il est sollicité par un club de Division 2, mais plus surprenant, par des clubs américains.
L’AS Saint-Etienne commence un nouveau cycle. Albert Batteux arrive dans le Forez, il est bientôt rejoint par deux internationaux : le stadiste Georges Carnus et Vladimir Durkovic (50 sélections en équipe de Yougoslavie).

Bien que faisant toujours partie du gotha des gardiens français, Bernard ne succombe pas aux sirènes américaines et s’engage avec l’équipe francilienne du Red Star FC qui vient de fusionner avec… Toulouse. Le prestige du gardien international promet d’attirer les foules à Saint-Ouen.

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Pierre Bernard, au milieu des joueurs du Red Star.

Le plus ancien joueur professionnel français en activité

Il est le plus ancien joueur professionnel français en activité, devançant de quatre jours seulement un autre ancien international : le Strasbourgeois Raymond Kaelbel, né le 31 janvier 1932. En revanche, ce dernier a fait ses premiers pas en professionnel à l’âge de dix-huit ans contre vingt au néo-audonien.
Sur son rôle de gardien, Pierre Bernard évoque sans détour son évolution : « La tâche du gardien de but aujourd’hui est infiniment plus aisée que celle du gardien en 1957. A mes débuts professionnels, la plupart des équipes jouaient le WM, c’est-à-dire avec trois arrières. Le gardien devait prendre des risques énormes quand les attaquants adverses se présentaient à cinq ou six. Maintenant, le jeu s’est considérablement durci et renfermé en défense. Et le gardien a dû évoluer et réfléchir. On lui demande d’être efficace, non d’être spectaculaire. »

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Pierre Bernard au centre, le nouveau gardien des Audoniens du Red Star.

De retour à Geoffroy-Guichard

Saint-Etienne, Bernard ne va pas s’en absenter très longtemps. Dès le mois de septembre 1967, il y fait son grand retour. En effet, la mini-trêve imposée par les matches internationaux a permis au Red Star et à l’ASSE de conclure une rencontre amicale à Geoffroy-Guichard. Ce déplacement a permis également au désormais ex-joueur de l’ASSE d’effectuer son déménagement définitif de Saint-Etienne à Paris.

L’attention des joueurs stéphanois

Le 13 février 1968, les Verts affrontent Malakoff en Coupe de France. Les Stéphanois investissent le vestiaire occupé habituellement par le Red Star où évolue leur ancien gardien. Sur le tableau noir de Jean Avellaneda, l’entraîneur audonien, Herbin et tous les joueurs stéphanois écrivent un petit mot à l’adresse de leur ancien coéquipier. Bernard, qui n’a laissé que des bons souvenirs dans le Forez, est touché par cette inattendue attention. Lors des déplacements de l’ASSE, il jouait très souvent au bridge avec Herbin, Sbaïz et Jean Oleksiak entre autres.

A propos de son ancien club, il déclare : « Si l’année prochaine, l’équipe réussit une belle saison, Saint-Etienne deviendra un super club, car il est supérieurement organisé sur tous les plans. »

 

Robert Herbin, l'une des rares satisfactions stéphanoises de ce match.
Robert Herbin et ses coéquipiers laissent une trace de leur passage à Saint-Ouen.

Un jubilé pour clore une belle carrière

A 38 ans, il met un terme à sa carrière professionnelle à la fin de la saison 1969. De ses débuts professionnels aux Girondins de Bordeaux en 1952 à son dernier match avec le Red Star en 1969, il a disputé 470 matches en Division 1.
Le Red Star offre à son capitaine un jubilé à la hauteur de son talent. 18 000 spectateurs sont présents au stade de Paris pour applaudir une dernière fois leur joueur. Pierre Bernard a invité pour ce jour de fête, Jacky Bernard, le benjamin de la famille et Rachid Mekloufi qu’il a côtoyé lors de son passage à Saint-Etienne. Le Red Star s’incline devant le Sporting de Lisbonne (1-0).

Pierre Bernard lors de son jubilé. La fête est à la hauteur du talent de l'international.
Pierre Bernard lors de son jubilé. La fête est à la hauteur du talent de l’international.

A Bordeaux, il retrouve son grand ami Guillas

Il se reconvertit comme représentant régional pour une célèbre marque d’articles de sport aux trois bandes. Il rejoint son grand ami Roland Guillas.
Bien que retraité des terrains, il continue à jouer occasionnellement avec les anciens internationaux. En octobre 1973, il dispute à Brive avec les anciens Bleus, un match contre les vieilles gloires hongroises. Ses coéquipiers se nomment alors R. Tylinski, Goujon ou Kopa.
Il n’oublie pas aussi de se rendre à Geoffroy-Guichard pour assister à des matches et revoir ses anciens partenaires où il revoit d’autres anciens Verts, tels Claude Abbes.
Pierre Bernard nous a quittés le 28 mai 2014 à l’âge de 82 ans.

Th. Clemenceau

 

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FranceFootball daté du 20 décembre 1960

Pierre Bernard : la modestie au service du football

Pierre Bernard, 82 ans, s’est éteint le 28 mai 2014. International à 21 reprises, l’ancien gardien des Girondins et de Saint-Etienne, dont le modèle était Lev Yachine, avait rejoint les Verts en 1963 alors que le club venait de retrouver la Première division. Je vous propose de découvrir ou redécouvrir le portrait de l’un des meilleurs joueurs français des années 50-60.

 

1ère partie : de Castres à Nîmes

 

Une famille de footballeurs

Il suffit parfois d’un prénom pour se faire un nom. Pierre Bernard est né le 27 janvier 1932. Il est le cadet des trois frères de la famille Bernard. Originaires de Boissezon dans la région de Castres, où naquit également Jean Jaurès, les frères Bernard auraient pu choisir le rugby. Mais lui, comme ses deux frères, a préféré le football.
En janvier 1948, pour la première fois dans le ciel de Californie, un avion franchit le mur du son : 1 100 km à 21 000 m d’altitude. Ce jour-là, l’équipe de Castres affronte le Racing Club de Paris en Coupe de France. Le gardien tarnais, âgé seulement de seize ans et quinze jours, se nomme Pierre Bernard. Malgré les sept buts encaissés, le jeune homme fait l’admiration d’André Riou, son entraîneur. Dans cette formation, un autre Bernard, Robert, tient fièrement son rang. Quant au troisième de la fratrie, Jacky, alors âgé de douze ans, il ne perd rien de la prestation de ses aînés.

Il frappe à la porte des Girondins

Après avoir entraîné René Vignal à Toulouse en 1948, Riou découvre une autre pépite dans les cages en la personne de Bernard. Sélectionné dans la sélection Cadets du Midi, il possède déjà toutes les qualités qui font les grands gardiens.
En 1950, le jeune Bernard quitte le Tarn muni d’une lettre de recommandations d’André Riou. A dix-huit ans, le jeune international Juniors vient frapper à la porte des Girondins de Bordeaux, alors présidé par M. Pujolle. Malgré pléthore de bons gardiens (Depoorter, Villenave ou Astresses), Bernard, avec son diplôme de garagiste en poche, fait ses classes dans l’ombre du gardien de l’équipe première, Jean-Guy Astresses.

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Originaire du Tarn, c’est aux Girondins de Bordeaux que Pierre Bernard débute sa carrière professionnelle.

Une progression constante

Sous la houlette d’André Gérard, ancien gardien de but des Girondins de 1937 à 1945, il travaille sa détente et sa souplesse. Sa progression est fulgurante. Mais à toutes ses qualités, une, peut-être moins visible, rassure : son calme. Pierre Bernard est un méridional tranquille qui ne s’énerve jamais. Si ses nerfs sont d’acier, en revanche, ses muscles le sont moins. Tout au long de sa carrière, il jouera avec un maillot de rugby sous ses pulls célèbres qui font office de maillot de gardien.
En 1953, l’élève dépasse le maître. Après l’obtention du titre de champion de France amateurs et gagné ses talons d’international de la même catégorie, Pierre Bernard se fait remarquer dans les buts de l’équipe première des Girondins. Au fil des matches, Bernard prend de l’assurance et son étoile brille un peu plus chaque dimanche après-midi.

Rétrogradé avec Bordeaux

Quand il ne joue pas au football, le Castrais s’adonne à sa passion première : la chasse. Il aime chasser le gibier d’eau dans les marais près de Bordeaux. S’il n’est pas un adepte de la lecture ou du cinéma, en revanche, il adore écouter de la musique.
Cependant, ses exploits ne suffisent pas à empêcher la rétrogradation en D2 des Girondins en 1952.

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Pierre Bernard ou la sûreté du gardien de but.

International Espoirs

De sa jeune carrière, il garde déjà un très bon souvenir : lors d’un match à Vicence, en Italie (novembre 1954), avec les Espoirs français, sa prestation force l’admiration de ses adversaires du jour, des spectateurs et journalistes transalpins présents. Les Italiens qui ne manquent pourtant pas de grands gardiens louent ses qualités. Alex Thépot ne dit-il pas : « Ne cherchez plus le futur gardien de notre équipe nationale, celui qui remplacera Remetter se nomme Bernard. » Le portier bordelais est touché par cette reconnaissance.

Privé de finale de Coupe de France

Alors que l’on évoque une possible convocation en équipe de France A, fin décembre 1954, René Vignal, orfèvre en la matière, déclare : « Pierre Bernard est, à l’heure actuelle, le meilleur gardien français« . L’élève d’André Gérard est philosophe et patient. Il sait que son jour viendra. Il a attendu trois ans avant que l’on lui donne sa chance dans les buts des Girondins, alors l’équipe de France…
Sans une malencontreuse blessure à l’épaule en demi-finale de la Coupe de France contre Nice (3-2), il aurait participé à sa première finale de Coupe de France. Avec ses bonnes prestations avec l’équipe de France B, il se pose en concurrent numéro 1 de François Remetter, le titulaire du poste de gardien en équipe de France A.

REIMS-ST ETIENNE
Pierre Bernard écarte le danger devant les attaquants adverses.

Une première sélection qui se fait attendre

FranceFootball lui décerne la palme des gardiens pour la saison 1954-55 devant Claude Abbes (Saint-Etienne) et François Remetter (Sochaux).
Au printemps 1957, à 25 ans, Bernard ne connaît toujours pas les joies d’une première sélection. Pourtant, sa progression est croissante mais Remetter reste solide à son poste de titulaire chez les Bleus. Une autre raison à cette situation : les Girondins de Bordeaux évoluent en Division 2 et Paul Nicolas, le sélectionneur, prétexte que le calendrier de la Division 2 ne prévoit aucune interruption lors des matches internationaux. C’est même à se demander s’il portera un jour la tunique bleue tant les embûches se mettent en travers de la route quand il s’agit de la sélection.
Déjà, en 1949, il dut déclarer forfait par blessure alors qu’il était convoqué pour jouer avec les Juniors français. En 1955, alors qu’il est pressenti pour remplacer Remetter, il se fracture le bras. La malchance le poursuit.

A l’intersaison 1957, désireux de retrouver la Division 1, il quitte la Gironde. Sedan s’attache ses services moyennant 8,5 millions de francs. Le plus discret des gardiens va passer d’une ville de 350 000 habitants à une cité de 15 000. C’est loin de lui déplaire, bien au contraire, lui qui aime le calme.

Première sélection à… 29 ans

Avec Sedan, il revient au premier plan. Le 30 octobre 1960, Georges Verriest et Jean Gauteroux le sélectionnent pour le match amical Suède-France. Le gardien titulaire ne s’appelle plus Remetter mais Taillandier. Bernard doit se contenter à nouveau d’un rôle de doublure.

FRANCE-BULGARIE (3-0)
L’équipe de France : en haut (de g. à d.) : Wendling, Sénac, Bieganski, Bernard, Rodzik. Entr. : Batteux. En bas (de g. à d.) : Marcel, Wisnieski, Fontaine, Douis, Piantoni, Cossou.

A 28 ans, le gardien des Sangliers n’a pourtant jamais été aussi fort. Sa maturité inspire une confiance totale.
Le 11 décembre 1960, il honore enfin sa première sélection en Bleu contre la Bulgarie au Parc des Princes (3-0). Une blessure de Taillandier lui ouvre enfin les portes de l’équipe de France. On l’attendait titulaire à 25 ans, finalement c’est à 29 qu’il fait ses débuts.

FF 20 DEC 60
FranceFootball daté du 20 décembre 1960

Trois mois plus tard, il joue de malchance lors d’un Espagne-France (0-2) à la suite d’un choc avec Alfredo Di Stefano. Toujours philosophe, il déclare : « Cela m’a permis de jouer une mi-temps en acteur et de suivre la seconde en spectateur. »
En championnat, Sedan n’a pas les ambitions de son gardien et cela l’agace un peu. « On joue vraiment pour l’honneur, à Sedan ! » déclare-t-il. Bien que victorieux en finale de Coupe de France contre… Nîmes (3-1), il souhaite s’engager dans un club où il pourra assouvir sa faim de titres.

De Sedan à Nîmes

A l’intersaison 1961, après quatre ans de bons et loyaux services dans les Ardennes, il s’engage avec le Nîmes Olympique de Kader Firoud. Ce dernier ne tarit pas d’éloges à son encontre. Le 18 octobre 1961, lors d’un déplacement des Tricolores à Bruxelles (0-3), malgré la défaite, il crève une nouvelle fois l’écran. Ses réflexes, son coup d’œil et son sens de l’anticipation en font désormais l’un des meilleurs gardiens européens. L’entraîneur gardois, ancien joueur de Saint-Etienne de 1945 à 1948 dit de sa nouvelle recrue sur un ton laconique : « Il a quelque chose que les autres n’ont pas« . 

Le pull-over porte-bonheur

Serait-ce son maillot ou plutôt pull-over de couleur vert foncé qu’il porte et qui n’est pas des plus élégants ? Bernard s’en fiche. Il aime à répéter qu’il n’est pas là pour faire un concours d’élégance. Il le porte par fétichisme et lui sert en sorte à conjurer le mauvais sort. La gloire et les louanges, il les prend comme tels, mais cela ne lui fait pas tourner la tête pour autant. « Personnellement, je ne me préoccupe pas de savoir quel est mon rang dans la hiérarchie. Je veux surtout ne pas oublier que si mon prochain match international est mauvais, je serais relégué brutalement et sans transition à un niveau beaucoup moins flatteur. » Et si c’était la lucidité que Bernard avait donc en plus?

FRANCE-ANGLETERRE (5-2)
Pierre Bernard, le gardien nîmois et international.

Etoile d’Or FranceFootball

A la fin de la saison 1960-61, il reçoit l’Etoile d’Or décernée par FranceFootball.
Le 12 novembre 1961, il honore une nouvelle cape avec les Bleus qui se déplacent à Sofia. S’il concède un but à la dernière minute du temps réglementaire (0-1), il a retardé l’échéance grâce à quatre arrêts exceptionnels qui font les grands gardiens. « Un bon gardien, c’est cinquante pour cent d’une équipe« , disait Robert Jonquet. La France du football n’avait connu pareil phénomène depuis René Vignal. Comme tous ses camarades tricolores, il peut songer à la prochaine Coupe du monde qui se déroulera au Chili en 1962.

Vidéo INA : veillée d’armes de l’équipe de France à Rueil avant le match de Colombes face à la BULGARIE dans le cadre des éliminatoires de la Coupe du monde qui se déroulera au Chili en 1962.

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Les portes du Chili se referment

Le 16 décembre 1961, la Bulgarie et la France disputent un match d’appui au stade San Siro de Milan. Le vainqueur décrochera son ticket pour la Coupe du monde au Chili. Un tir de Yakimbov, effleuré par Lerond, surprend Bernard. La France est battue (0-1). Le rêve chilien, son rêve, prend fin. Les portes du Chili se referment. Les Bulgares, eux, se qualifient pour la première fois à une phase finale de Coupe du monde. Ce Bulgarie-France est le dernier match comme sélectionneur d’Albert Batteux.

Fin décembre 1961, pour clôturer le stage de l’équipe de France, Georges Verriest emmène Pierre Bernard et les siens au théâtre de la Porte Saint-Martin applaudir « Oscar » joué entre autre, par Louis de Funès.

« Le violet, c’est la couleur pascale« 

Bien qu’il soit un joueur plutôt discret, le gardien n’hésite pas à varier les couleurs de ses pulls en fonction des saisons ou des évènements du calendrier. Toujours par superstition : à Pâques, par exemple, il arbore un magnifique pull violet « pour me porter chance, dit-il, c’est la couleur pascale. »
Mais il arrive que la magie n’opère pas toujours. Le 25 avril 1962, les Angevins font passer une très mauvaise soirée au Gardois. Livré à lui-même par sa défense, il concède huit buts. Nîmes s’incline 8-3, ce qui constitue l’un des plus mauvais souvenirs de sa carrière. A cette occasion, il perd sa place en équipe de France. Le sélectionneur Verriest lui préfère alors le Nancéien Bruno Ferrero comme titulaire pour défier l’Italie à Florence (1-2).

Désaccord avec les dirigeants nîmois

A l’intersaison 1962, Pierre Bernard est en désaccord avec Nîmes. Il fait un constat amer sur sa situation professionnelle : « Je compte parmi les vingt meilleurs footballeurs de l’année, mais je figure parmi les 200 moins bien payés. » Firoud et les dirigeants nîmois font la sourde oreille aux appels du pied du Méridional. Nîmes réclame alors 5 millions et demi pour laisser partir son gardien international. Bien que sollicité par Strasbourg, en autres, il reprend l’entraînement avec le club gardois. Si son président consent enfin à faire un geste pour son joueur, ce dernier refuse les conditions qui lui sont faites. Il commence la saison comme remplaçant. Après des semaines de travail acharné alliées à une volonté inébranlable chez lui, il retrouve sa place contre Toulouse où évolue son frère Jacky.

NIMES-MONTPELLIER
Kader Firoud, l’entraîneur nîmois.

Là encore, il ne doute pas de ses capacités à rebondir Il ne laisse jamais aux autres le soin de le juger. « L’important, c’est de s’améliorer, s’améliorer toujours. Je recherche toujours la perfection et elle est encore très loin. Pelé lui-même n’est peut-être pas parfait. » Bernard n’est jamais content ou satisfait. Même de ses meilleurs matches.

Th. Clemenceau

A suivre : de Saint-Etienne à aujourd’hui.

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