Ce samedi 26 avril, Evian-Thonon-Gaillard accueille l’AS Saint-Etienne pour le compte de la 35e journée du championnat de Ligue 1. En 1985, les Verts d’Henrik Kasperczak, alors en Division 2, se déplacent à Thonon-les-Bains, petite cité savoyarde coincée entre les montagnes et le lac Léman. A cette occasion, Bernard Pardo effectue ses grands débuts sous le maillot vert. Bonne lecture.
Saint-Etienne retrouve « Savoie » à Thonon
2 novembre 1985. Thonon-les-Bains-Saint-Etienne : 3-3 A l’intersaison, le club de Thonon-les-Bains est en proie à d’importantes difficultés financières. Il doit se résoudre à se séparer de quelques joueurs clés dont Patrice Augustin, son meilleur buteur, et Dominique Vézir, l’ancien Stéphanois. Ces restrictions budgétaires n’empêchent pas les Haut-Savoyards d’occuper une huitième place à seulement cinq longueurs de Saint-Etienne. En début de saison, Thonon était dans le sillage des Verts qui ne comptaient que deux petits points de plus que l’équipe savoyarde en imposant un rythme de champion (un point et demi de moyenne par match).
Hécatombe chez les Savoyards
Depuis, si les Stéphanois ont continué leur progression vers les sommets de cette division, les hommes de Michel Plumereau, leur entraîneur, ont connu un sérieux passage à vide. Une véritable malédiction même s’est abattue sur le club. Quatre de leurs attaquants vedettes sont blessés, ce qui explique, en partie, qu’ils n’ont marqué en tout et pour tout qu’un seul petit but durant le mois d’octobre pour deux points pris sur les huit possibles. Ajoutez à cela, les indisponibilités d’Aguilar et Faure, leurs deux défenseurs et c’est une équipe très handicapée qui reçoit le leader stéphanois. En dépit de toutes ces absences, Thonon reste, malgré tout, invaincu à domicile. Mieux, ils ont fait tomber le leader Le Puy où évolue Frédéric Antonetti et deux équipes qui ne leur réussissaient guère par le passé : Nîmes et l’Olympique Lyonnais de Robert Nouzaret. Enfin, pour ne pas déroger à la tradition d’avant-match, l’entraîneur haut-savoyard a emmené tout son petit monde sur les bords du Lac Léman, au château de Ripail.

Le grand retour de Pardo
Saint-Etienne, malgré une défaite inattendue à Cannes (1-2) lors de la dernière journée, est toujours le leader du groupe A. L’entraîneur polonais de l’ASSE, Henrik Kasperczak, espère une réaction de la part de ses joueurs. Pour cela, il peut compter sur un homme neuf : Bernard Pardo. Arrivé blessé dans le Forez à l’intersaison, l’ancien milieu de terrain brestois effectue ses grands débuts à l’occasion de cette rencontre. Pour cette affiche attendue par tous les Savoyards, on attend la grande foule au stade Joseph-Moynat. Au final, seuls 5 893 spectateurs prennent place dans les tribunes, ce qui constitue une petite déception. La raison en est toute simple : le prix des places s’élève à 150 Francs le ticket. Le trésorier du club peut quand même se frotter les mains, le nombre de spectateurs est quand même multiplié par trois. A match exceptionnel, ambiance exceptionnelle comme le confiait Michel Plumereau peu avant la rencontre à Jean-Philippe Cointot, l’envoyé spécial pour le journal L’Equipe : « Je suis un peu à l’image du lac. Je tempère l’atmosphère quand le besoin s’en fait sentir. Mais avant de recevoir Saint-Etienne, il n’était pas nécessaire de faire monter la température, elle est montée toute seule. Mes joueurs sont extraordinairement motivés pour cette rencontre hors du temps. »
Le temps justement, parlons-en. A Thonon-les-Bains, cela fait deux mois que l’on n’a aperçu la moindre goutte d’eau venant du ciel. Pourtant, quelques heures avant la rencontre, le ciel fait des siennes et la pluie son apparition. Thonon se présente avec une équipe peu expérimentée aux joutes de la Division II. En effet, seuls cinq joueurs parmi lesquels Ondrus, Carlier, De Rocco, Martinez et Bajeot ont un an d’expérience à ce niveau. Chez les Verts, hormis l’Allemand Milewski, blessé, qui se soigne en Allemagne, seuls Oleksiak, à court d’entraînement et Gros, indisponible depuis sa blessure à Istres, manquent à l’appel.

Le réalisme stéphanois
Le match débute dans une ambiance de folie mais les Stéphanois anéantissent très vite l’enthousiasme de l’assistance présente. Dès la 10e minute, sur leur première occasion, ils ouvrent le score par Roger Milla. L’attaquant camerounais reprend d’une tête piquée un centre de Ferri monté sur son aile gauche (0-1, 10e). Sept minutes plus tard, sur un centre de Ribar, c’est Bellus, cette fois, d’une belle reprise de volée, qui double la mise pour les Verts (0-2, 17e). Le réalisme est stéphanois : deux occasions, deux buts. En une rencontre, le gardien De Rocco vient d’encaisser plus de buts à domicile que sur l’ensemble du début de saison. Thonon est sonné mais c’est sans compter sur l’orgueil des coéquipiers de l’international tchèque Ondrus. Quatre minutes avant la pause, Carlier, étrangement seul à l’angle de la surface de réparation, reprend un centre de Covacs et redonne espoir à son équipe (1-2, 41e).

La réhabilitation de Thonon
A la reprise, les Thononais démarrent pied au plancher et il ne faut attendre que quatre minutes pour les voir égaliser par Rossi qui reprend un centre de Carlier (2-2, 49e). Décidément, les Verts sont fâchés avec le chiffre 4. Ils concèdent le premier but quatre minutes avant la pause et se font à nouveau surprendre quatre minutes après. Carlier, auteur du premier but, passeur sur le deuxième, se distingue une nouvelle fois en commettant une faute sur Ribar. Penalty ou pas, l’arbitre désigne le rond central. Didier Gilles ne se fait pas prier pour transformer l’essai et redonner l’avantage aux siens (2-3, 56e).

Mais il était écrit que l’on n’en resterait pas là. Bajeot, d’une belle frappe, trompe Castaneda malheureux de voir le ballon détourné par le dos de Jean-François Daniel . Les deux équipes en restent là. Ce match nul somme toute logique a tenu toutes ses promesses. Les Haut-Savoyards, après avoir frôlé l’abîme, semblent retrouver le chemin des cimes. Les Verts viennent de franchir un nouveau col, un de plus qui mène à la Division I, l’objectif avoué, cela coule de source…

Buts.- Thonon : Carlier (41e), Rossi (49e), Bajeot (61e); Saint-Etienne : Milla (10e), Bellus (17e), Gilles (56e, s.p.).
THONON : De Rocco – Bajeot (Bulhman, 85e), Ondrus (cap.), Fisson, Covacs – Carlier, Dehouck, Duffour – Martinez, Rossi, Pagano. Entr.: Plumereau.
SAINT-ETIENNE : Castaneda (cap.) – Claveloux, Gilles, Primard, Ferri – Pardo, Daniel, Ribar, Kurbos – Milla, Bellus. Entr.: Kasperczak.
Bernard Pardo l’infatigable
A dix-sept ans, le jeune Bernard Pardo joue dans le club de Gardanne, pensionnaire de la Division 4. En 1977-78, repéré par les dirigeants de Boulogne-sur-Mer, club de Division 2, il s’engage en tant que stagiaire. Il n’y reste qu’un an avant de rejoindre, à la demande de José Arribas, un autre club nordiste : Lille. Dans ce club, il effectue ses débuts en professionnel contre… Brest. Malgré de belles promesses, Pardo joue trop peu pour continuer sa progression. Il demande alors à être placé sur la liste des transferts. A l’orée de la saison 1979-80, le club de Brest, alors pensionnaire de Division 2, engage le Méridional pour 50 000 F. Il rejoint dans le Finistère l’ex-Sochalien formé à l’AS Saint-Etienne, Patrick Parizon. Dès sa première saison en Bretagne, Pardo se révèle comme un titulaire indispensable et porte souvent à bout de bras l’entrejeu breton. Cela lui vaut de signer son premier contrat professionnel.

Champion de France de Division 2 avec Brest
En 1981, Il décroche le titre de champion de France de Division 2 avec le club finistérien. Lors de la saison 1981-82, Alain de Martigny, son entraîneur, lui confie le rôle de demi-défensif. S’il éprouve quelques difficultés à s’adapter à ce poste, il canalise rapidement ses envies offensives pour mieux défendre, ce qui ne l’empêche pas de monter dès que l’occasion se présente. Le 31 octobre 1981, alors qu’il n’a pas encore vingt ans, cet infatigable guerrier au souffle inépuisable inscrit son premier but en professionnel à l’occasion d’un Nice-Brest (2-3).
Cousin avec les Revelli
Un mois plus tard, à l’occasion d’un match opposant Sochaux à Brest, Patrick Revelli, alors remplaçant chez les Lionceaux, ne tarit pas d’éloges à l’encontre du jeune Brestois, qui n’est autre que… son cousin. Les deux hommes sont originaires de Gardanne, commune située dans les Bouches-du-Rhône. Après une prestation convaincante, l’ex-ailier stéphanois clame que Pardo mérite bien une sélection en équipe de France « Espoirs. A Gardanne, la famille Pardo est aussi connue que les Revelli. En effet, en 1958, son père et l’aîné des Revelli, Roland, jouaient dans l’équipe première qui a éliminé Toulouse en 32e de finale de la Coupe de France, soit le tenant de l’épreuve.

Une victoire contre les Verts la veille de ses 22 ans
Bernard Pardo fête ses 22 ans après une rencontre disputée et gagnée contre… les Verts (4-2) le 18 décembre 1982. Mais à Brest, les joueurs ne jouent pas uniquement au foot. Quelques joueurs s’adonnent également à la chasse dont Pardo. Si Bosser et Le Magueresse chassent ensemble, Pardo, lui, a pour compagnon de chasse non pas un footballeur mais un coureur cycliste : Pierre-Henri Menthéour. La saison 1983-84 n’est pas à la hauteur des espérances brestoises. Pardo et son ancien coéquipier à Lille, Henry sont montrés du doigt. On accuse en effet les deux joueurs brestois de manquer de sérieux les veilles de rencontres de championnat. Blessé par ces accusations, à un an du terme de son contrat, Pardo envisage de quitter le Finistère.
La saison de toutes les galères
Pourtant, il commence la saison 1984-85 avec le club du président François Ivinec. Auteur d’excellentes prestations, à la mi-championnat, il attise déjà les convoitises. Pas moins d’une quinzaine de clubs se disent intéressés par la venue du milieu de terrain brestois. Jusqu’à ce 19 avril 1985. Brest joue contre Strasbourg. A la 50e minute, Pardo inscrit un but de vingt-cinq mètres qui laisse Schuth, le gardien adverse, sans réaction. Il inscrit au passage son cinquième but de la saison pour trente-deux matches joués en tant que titulaire. Mais, à la 70e minute, en évitant un tacle d’un joueur strasbourgeois, il retombe mal sur son genou gauche. Le diagnostic est sans appel : les ligaments croisés sont touchés. Il doit se résoudre à l’opération. Et comme souvent dans pareille situation, c’est le professeur Imbert à… Saint-Etienne qui opère dans ces circonstances. Les spectateurs du stade Francis-le-Blé viennent aussi de voir pour la dernière fois sous le maillot brestois leur précieux milieu de terrain. Par son activité inlassable, il était devenu au fil des ans, le chouchou du public breton.
Proche d’un accord avec Neuchâtel
Avant sa blessure qui va l’éloigner des terrains pendant six mois, Pardo était très proche de donner son accord au club suisse de Neuchâtel entraîné par Gilbert Gress. Monaco et Toulon, deux clubs du Sud de la France, ne laissent pas indifférent le Provençal. Sa longue indisponibilité refroidit cependant les entraîneurs intéressés par ses services. Bon nombre de belles promesses s’envolent. Le 7 mai, dans le groupe B de la Division 2, Saint-Etienne s’impose devant Alès (3-1). Malgré cette victoire, les Verts terminent seconds derrière Nice et doivent disputer les pré-barrages contre Rennes, l’autre second du groupe A de Division 2. Ils tombent à Geoffroy-Guichard (0-2) et doivent repartir pour une saison dans l’antichambre de la Division1. Ce match compte un spectateur attentif : Bernard Pardo.

Contrat de trois ans chez les Verts
Bien que le marché des transferts soit ouvert depuis le 26 avril, le Brestois, au même titre que Zimako ou Kurbos, est toujours sur le marché. L’ASSE, contrairement à beaucoup de ses concurrents, a poursuivi ses contacts avec le joueur. Fin mai, il appose sa signature pour trois saisons avec le club présidé par André Laurent. Elle précède celle de Tony Kurbos en provenance du FC Metz. L’Allemand de Hambourg Milewski complète le recrutement stéphanois. A Saint-Etienne, Bernard Pardo retrouve donc Hervé Revelli, revenu dans la région stéphanoise et employé à la radio locale RLS. Avec un tel recrutement, l’ASSE est logiquement favori de son groupe de Division 2.
Rééducation, golf et pétanque et ciné
Après trois mois de championnat, les Verts font la course en tête. Pardo, lui, a réappris à marcher, courir et frapper dans le ballon sous les ordres de Gérard Forissier, le kiné du club. Entre deux séances de rééducation, outre sa passion pour le cinéma, il initie Thierry Oleksiak au golf du Chambon-sur-Lignon (il est handicap 26) ou Ribar et Gilles à la pétanque. Fin octobre, il obtient le feu vert du service médical stéphanois pour reprendre la compétition. Il dispute deux matches avec l’équipe réserve à Fontainebleau (1-1) et contre Chalon (1-3) aux côtés des Haon, Makita ou encore Moyroud, autre grand blessé stéphanois. Il se sent prêt pour jouer son premier match avec l’équipe de Kasperczak et aider les Verts à remonter en Division 1.

Retour à la compétition
Ce jour tant attendu, il survient le 2 novembre 1985. Saint-Etienne se déplace à Thonon-les-Bains. Au terme d’un match fou ponctué par six buts (3-3), Bernard Pardo démontre qu’il n’a rien perdu de ses qualités. France-Football lui attribue la note maximale de 5, soit celle du meilleur Stéphanois.

Avec un milieu de terrain composé de Peycelon, Pardo, Daniel et Ribar, les Verts semblent avoir trouvé l’équilibre gagnant. Pardo, par sa personnalité et son rôle de patron naturel dans l’axe central de l’entrejeu, impulse une énergie nouvelle.

Les Verts retrouvent la Division1
Au terme de cette saison, les Verts retrouvent la Division 1 deux ans après l’avoir quittée. Pardo se plaît à Saint-Etienne et souhaite poursuivre l’aventure. Mais des problèmes d’ordre personnel le contraignent à changer d’air. Toulon se met sur les rangs pour recruter le milieu stéphanois. Malgré des négociations serrées entre les dirigeants des deux clubs, le 2 mai 1986, un accord intervient. Il quitte donc le Forez un an après son arrivée. L’attaquant toulonnais Alain Bénédet fait le chemin inverse.
Thierry CLEMENCEAU
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